On ne réalise pas jusqu’à quel point l’Église canadienne est née de mystiques et de martyrs qui ont quitté la vieille France pour planter la croix du Christ en cette terre du Nouveau Monde. Ils ont tout donné à ce pays, travaillant à son plein épanouissement, l’ensemençant de leur amour du prochain, l’enracinant dans la foi au Christ. Quelques-uns sont officiellement saintes et saints, bienheureuses et bienheureux, dont Catherine de Saint-Augustin, l’une des fondatrices de l’Église canadienne avec Mgr de Laval, Marie de l’Incarnation, Marguerite Bourgeoys et Jeanne Mance.

Faire la volonté de Dieu

Catherine de Longpré, fille d’un père avocat et de Françoise Jourdan de Launay, est née et baptisée le 3 mai 1632 à St-Sauveur-le-Vicomte, en basse Normandie. En cette même année, les Jésuites retournent en Nouvelle-France et obtiennent le monopole des missions canadiennes.

Catherine est élevée par ses grands-parents maternels qui veulent ainsi aider leur fille Françoise, mère de plusieurs enfants. Les grands-parents tiennent chez eux une sorte d’hôpital qui ressemble un peu à un Hôtel-Dieu, car Dieu est reconnu présent dans ses malades. Catherine est ainsi mise en contact avec des miséreux. Elle apprend le dévouement aux autres. Elle avoue dans son Journal que dès l’âge de trois ans et demi elle avait au cœur un désir brûlant de faire la volonté de Dieu. Ce souci d’accomplir la volonté de Dieu sera le pivot de sa spiritualité. Elle y voit la condition essentielle de l’union à Dieu.

Attirée par la vie religieuse, elle rencontre le grand prédicateur des Cœurs de Jésus et de Marie, Jean Eudes, qui parcourt les paroisses de Normandie avec Marie des Vallées. Encouragée par ce futur saint, elle entre comme postulante chez les Hospitalières de Bayeux à douze ans et demi. Elle prend l’habit religieux le 24 octobre 1646, sous le nom de Marie-Catherine de Saint-Augustin.

Vivre et mourir en Canada

Des religieuses sont établies en Nouvelle-France depuis 1639. On demande du renfort pour y fonder un Hôtel-Dieu à Québec. C’est le désir de Catherine d’y aller, même si elle n’a pas encore seize ans. On tente de la dissuader. Peine perdue, cette fille déterminée fait le vœu « de vivre et de mourir en Canada, si Dieu lui en ouvrait la porte ». Son père accepte le départ de sa fille lorsqu’il lit dans les Relations des jésuites canadiens le martyre du père Joques. Plusieurs Français se disent prêts à traverser l’océan pour aider à la conversion de ce qu’on appelait à l’époque les « Sauvages ».

Au lendemain de ses seize ans, Catherine s’embarque pour le Canada, après avoir fait profession religieuse. La traversée de trois mois est très pénible. La peste se répand et la jeune religieuse pense mourir, si ce n’est d’une intervention miraculeuse de la Mère de Dieu. Elle s’était déjà consacrée à Marie qui sera très présente dans sa vie.

Arrivée en août à son « petit paradis de Québec », Catherine se donne totalement à sa mission, malgré une santé fragile et les problèmes de la colonie : pauvreté, froid, feu, apprentissage de la langue huronne, manque d’aliments, péril iroquois. Les pères Brébeuf et Lalemant sont assassinés par les Iroquois quelques mois après son arrivée.

La santé de celle qui dirige la construction du nouvel Hôtel-Dieu de Québec se détériore tellement qu’on pense la rapatrier en France. Mais elle refuse énergiquement, se voyant attachée à la croix du Canada par trois clous : la volonté de Dieu, le salut des âmes, le vœu de rester au Canada jusqu’à la mort. C’est sur une telle foi que le pays va se bâtir.

Celle qui rend l’intérieur plus beau

Catherine est d’un grand secours pour sa communauté et la colonie. Elle est tour à tour administratrice du monastère, infirmière, maîtresse des novices, directrice de l’hôpital. Presque toujours malade, elle ne se plaint pas et reste fidèle au poste, malgré de fortes fièvres et des attaques du démon. Elle attire tout le monde par son équilibre et son dévouement. Les Hurons ne se sont pas trompés en voyant, sous un extérieur fragile, une âme intrépide. Ils la nomment Iakonikonriostha, ce qui veut dire « celle qui rend l’intérieur plus beau ».

Ses consœurs ne soupçonnent pas que la bonne religieuse est favorisée de grâces mystiques hors du commun. À l’exception de Mgr de Laval et du jésuite Paul Ragueneau, qui est son directeur spirituel de 1650 à 1662, personne ne sait ce qui se passe en elle. Et nous l’ignorerions nous aussi si Catherine n’avait pas confié par écrit ses états d’âme à son directeur. Elle continuera de lui écrire lorsqu’il retournera en France. Le père Ragueneau rédigera plus tard la biographie de Catherine, à la demande de Mgr de Laval.

Nous sommes éblouis devant cette très grande mystique pour qui l’amour de Dieu et du prochain est au centre de tout. Cet amour passe par la croix, la purification, le détachement. Telle est d’ailleurs la voie que tout vrai mystique emprunte avant d’arriver à l’union avec Dieu. Mais ce qui caractérise le cheminement de sœur Catherine, ce sont ses visions, ses révélations et, surtout, ses luttes contre les démons qui l’attaquent souvent. Pourtant, rien ne paraît à l’extérieur. Le saint père de Brébeuf lui apparaît plusieurs fois et la conseille. Il lui sera d’un grand secours contre les forces du Mal.

Possédée du Christ

Il y a de quoi être perplexe aujourd’hui devant un tel parcours spirituel. Des psychanalystes pourraient y voir de la paranoïa, du masochisme, de l’hystérie, et quoi encore. Pourtant, ses contemporains ont sans cesse affirmé sa lucidité exemplaire, son bel équilibre, son jugement sûr, sa grande douceur. Elle a vécu en s’ouvrant aux autres, donc en souffrant. D’ailleurs, pourquoi vouloir tout expliquer? Nous sommes ici en face du mystère de la souffrance acceptée par amour. Sœur Catherine sera unie à la passion du Christ jusqu’à sa mort pour sauver les âmes de son pays d’adoption. Qui peut comprendre? Saint Paul lui-même trouvait sa joie dans les souffrances en complétant « ce qui manque aux tribulations du Christ en ma chair pour son Corps, qui est l’Église » (Colossiens 1, 24).

Possédée du Christ, Catherine se fixe en lui, sous l’impulsion de l’Esprit Saint. Ce qu’elle désire le plus : souffrir par amour, s’offrir en victime pour le Canada, afin de sauver le plus grand nombre d’âmes. Et pour bien vivre sa mission, qui est une sorte de martyre, elle fait le vœu de vouloir ce qui est le plus parfait pour Dieu. Elle renonce à tout pour Dieu seul.

Catherine meurt le 8 mai 1668, à l’Hôtel-Dieu de Québec, à l’âge de 36 ans. Pour Mgr François de Laval, elle fut « l’âme la plus sainte qu’il eût connue ». Marie de l’Incarnation fait l’éloge de ses vertus dans une lettre écrite à son fils bénédictin : « Je vous parlerai volontiers de cette Sœur Catherine dont je fais plus d’état que des miracles et des prodiges. Elle servait les pauvres avec une force et une vigueur admirables. C’était la fille du monde la plus charitable aux malades et elle était singulièrement aimée de tout le monde pour sa douceur, sa fermeté et sa patience… Mon très cher fils, les vertus de cette trempe sont plus à estimer que les miracles. N’est-ce pas? »

Reconnue vénérable pour l’héroïcité de ses vertus en 1984, Catherine de Saint-Augustin fut béatifiée par Jean-Paul II le 23 avril 1989.

Pour aller plus loin: Les saints, ces fous admirables (Novalis).