Il est normal parfois de ne rien ressentir dans la prière, puisque toute émotion vient des sens et que Dieu est au-delà du sensible. C’est ce que le poète mystique Jean de la Croix appelle « la nuit obscure » : nuit par les sens et la raison qui sont privés de goût, nuit par la foi elle-même qui nous fait croire ce que nous ne voyons pas, nuit par Dieu lui-même qui est au-delà de tout ce qu’on pourrait en dire et comprendre. Ce Dieu, que «nul n’a jamais vu» (Jean 1, 18), mais que Jésus est venu révéler comme Père, est «un Dieu caché» (Isaïe 45, 15).

Consolons-nous, tous les grands spirituels ont connu cette épreuve de l’aridité dans la prière. Dans la sécheresse spirituelle, Dieu semble absent, indifférent, caché dans un lourd silence. Ce sentiment d’être abandonné de Dieu est ressenti comme un vide intérieur, une solitude aride, un manque existentiel. Thérèse de Lisieux parle d’un sombre tunnel ou d’un brouillard qui l’empêchait de jouir de la foi, Mère Teresa de vide et d’obscurité. C’est souvent quelque chose de passager. Après la nuit l’aurore, après l’hiver le printemps, après la tristesse la joie, après les ténèbres la lumière, après la mort la résurrection. Sachons que Dieu est aussi près de nous dans la sécheresse que dans l’abondance.

Si on persévère dans cet état, nous découvrons que son absence est une forme supérieure de présence. Notre foi est plus enracinée, l'amour plus intense. Le temps est redonné en efficacité, car c’est l’Esprit qui aime en nous. Voici tout de même quelques pistes que je développe au chapitre sur la sécheresse spirituelle dans Les défis de la soixantaine : communier à la souffrance du monde, consentir à la nuit, patienter dans l’oraison, laisser faire Dieu, écouter sa Parole, répéter le nom de Jésus sans désespérer, rester tranquille et vigilant.

Il ne se passe rien

Un ami m'a déjà dit: Il ne se passe rien quand je prie. Qu’est-ce qui se passe lorsque tu t’exposes au soleil ? Tu te laisses réchauffer par ses rayons sans que tu t'en aperçoives. Ainsi en est-il de la prière ; tu t’exposes à Dieu pour te laisser aimer et brûler de l’intérieur. Il se passe toujours quelque chose dans la prière, mais pour voir les merveilles que le Seigneur accomplit, il faut les yeux de la foi. Sans la foi et l’amour, la prière peut te sembler une fuite du monde, une perte de temps, un lieu vide. Et pourtant, heureuse perte de temps nécessaire qui ouvre un espace de gratuité dans le quotidien, comme un entracte pour mieux te relancer dans l’action.

Il n’y a pas d’espace vide de Dieu. Ce n’est pas parce que tu ne ressens rien qu’il ne se passe rien. La prière porte toujours son fruit, même si elle semble ne rien t’apporter. C’est un moment de veille entre deux engagements. La prière est pure gratuité; tu pries parce que tu aimes, et cela ne se calcule pas. Fais mémoire de toutes les bontés de Dieu envers toi et tu verras que le goût de Dieu n’aura pas complètement disparu.

Bien sûr, il peut arriver que dans la prière, personnelle ou communautaire, ton cœur soit tout brûlant d’amour comme ceux des disciples d’Emmaüs, qu’une joie et une paix inondent ton cœur, qu’une lumière particulière te soit donnée sur la miséricorde infinie de Dieu, que des larmes coulent en écoutant sa Parole, que son pardon soit ressenti intérieurement… Dieu agit souvent ainsi envers ceux qui commencent dans la prière pour les encourager à continuer, mais tout cela peut changer.

Dieu a assez confiance en toi pour te conduire au désert de sa croix. Patience! Même si tu ne ressens plus la présence du Seigneur, cela ne veut pas dire que ce que tu vis est faux. La foi te dit que Dieu est présent à la fine pointe de ton âme. Ce qui fait la valeur de ta prière, c’est la foi et l’amour que tu mets dans l'attente de sa venue. Ne te centre donc pas sur toi-même et tes sensations lorsque tu pries, mais recueille-toi en Dieu et fixe ton attention sur son amour pour toi.

Pour aller plus loin, Guide pratique de la prière chrétienne (Presses de la Renaissance) 
Expérience de la prière (Parole et Silence)
Henri Caffarel, maître d'oraison (Cerf)
Saint Jean de la Croix (Presses de la Renaissance) 

Vidéo de 10 minutes de ma chaîne YouTube, ajoutée le 3 mai 2020.