Par Jacques Gauthier le mercredi 21 mai 2014
Catégorie: Le blogue de Jacques Gauthier

Rêveries au Pont d'Oye

Mon 20e recueil de poésie Rêveries au Pont d'Oye suivi de Métamorphose de la chair vient de paraître aux éditions du Noroît. Écrit sous forme de proses, il est le fruit d'une résidence d'écriture que j'ai effectuée en août 2011 avec d'autres auteurs au Château du Pont-d’Oye dans le sud de la Belgique. À la veille du lancement à la librairie Le Port de tête de Montréal, je vous partage quelques poèmes de la première partie qui est divisée selon les quatre éléments: terre, eau, feu, air.

J'ai également partagé sur ce blogue des textes de la deuxième partie, Métamorphose de la chair, où j'évoque l'horreur des camps de concentration, surtout Austchwitz, pour ouvrir à la possibilité d’une résilience. 

Nous ne reviendrons plus sur ces terres du bas-pays, le soleil nous attend ailleurs, au grand vent de l’esprit qui siffle entre nos dents. Nous reprenons l’exode, la bannière des écrivains prodigues. Donnez-moi la main que je vous la rende, auteurs qui ont le cœur en loques. Je vous lirai en poète de la joie. Je boirai au calice de vos plaies et j’y répandrai des faisceaux de lumière. J’emporterai vos mots d’esprit comme bagage sans savoir ce que j’en ferai. L’avenir brûle en nos poitrines d’une aube qui n’est pas triste.

Peut-on trouver la perle sans se mouiller, atteindre la cime sans descendre, cheminer d’un pas léger sans connaître la chute, surtout si c’est à quelques mètres de chez soi? La lumière sourd des aubes qui ont l’odeur de la marée quand les brouillards émergent de la mer. Elle entre par le trou dans lequel on est tombé depuis des temps immémoriaux.

Le désir trouve son azur, distance entre la soif et la source. Il captive la chair et l’encercle après les effleurements de la bouche. Il chante pour tous les coucous blessés. Mais ce que je dis est-il entendu sous le tic-tac de la pluie? Je n’ai rien appris que la nuit insaisissable, l’envers du vide, le monde en travail d’enfantement. Couleur de la transparence. Feux du désert. Lieu où je renais.

Le fleuve contient la source comme le caillou renferme le feu. L’âtre est l’axe du monde qui dénoue le nœud intérieur. Je regarde les braises qui me renvoient aux origines. Mon cœur se consume sous la cendre. Je brûle ma dernière bougie au bord d’un volcan.

Que de poètes se sont épuisés en devançant le mystère au lieu de le deviner! Il ne s’invente pas au fond d’un gisement de diamants. Nulle clef pour accéder à sa clarté. Il se découvre dans l’attente d’une présence soupçonnée, d’un amour pressenti qui se manifeste en transparence. On le flaire en silence dans la forge de l’invisible, poésie insoumise comme une citadelle assiégée.

Arbres et fleurs, rivières et fleuves, sentiers et montagnes, animaux et pierres, enseignez-moi le jeûne et le festin. Apprenez-moi le mouvement et l’inertie des moines, la grâce et le repos du cosmos, le grand poème du monde pour lequel je brûle, l’émerveillement d’en extraire le coulis du brasier primordial. Je n’oublie pas ce labeur intemporel qui bouillonne au centre de mon âme toujours neuve.

Je montre mon passeport effiloché comme un drapeau oublié. On ne voit pas la solitude de l’âme. Seulement une empreinte de café, un frémissement d’énergie éolienne entre les pages. Interdit de sourire pour montrer que je ne suis pas encore né. La rêverie a déserté le papier et m’a entraîné dans la profondeur de sa descente.

Les omoplates ont égaré leurs ailes. Nous en gardons mémoire dans l’envol des rêves migrateurs, des évasions nocturnes, des ferveurs amoureuses, du parfum d’humus. Que d’extases fabuleuses pour réapprendre à voler. Les oies blanches prennent le relais la nuit entre la cime et l’onde. Elles embaument le large d’un arôme de rosée. Nul ne peut les emprisonner. Leur vol n’est pas mirage. Elles glissent sans appui sur la mer et se libèrent par la rive.

La nuit, je vois une étoile sur chaque fleur, miroir des âmes transparentes. Je les contemple avec dévotion ces visages partis vers le jardin ancien aux fruits retrouvés. Leurs larmes sans âge brillent parfois sur l’herbe, mais une seule s’égare dans la rose du poète. 

Je m’éveille dans ton corps au-delà de toute attente et il ne fait plus nuit. Je me lie à ta beauté secrète, intime en toutes choses. Je n’ai pas d’autre pratique que d’écouter ton cœur battre au rythme essentiel de l’Autre qui n’a ni poids ni mesure. J’en deviens la caisse de résonance. Nous respirons au son de la même mélodie secrète que l’univers presse de chanter.

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