Lors de la canonisation d’Eugène de Mazenod le 3 décembre 1995, Jean-Paul II déclara dans son allocution : « Eugène de Mazenod fut l’un de ces apôtres qui préparèrent les temps modernes, notre temps. Il porta toute sa vie une attention particulière à l’évangélisation des pauvres, où qu’ils se trouvent […] Son apostolat consistait dans la transformation du monde par la puissance de l’Évangile de Jésus Christ. Saint Eugène voulait faire en sorte que, dans le Christ, chacun puisse devenir un homme complet, un chrétien authentique, un saint crédible. » Brossons quelques traits de cet homme, ce chrétien, ce saint.

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Un homme complet

Eugène naît le 1er août 1782 à Aix-en-Provence dans une famille profondément chrétienne. Son père était président du parlement d’Aix et sa mère une femme au grand sens pratique. Cette union aurait dû apporter au jeune Eugène une certaine sécurité, mais c’était sans compter la Révolution française qui éclate en 1789. Le père, qui s’oppose à la Révolution, force la famille à s’exiler en Italie. Commence alors une période d’instabilité familiale. Eugène vit son adolescence dans la pauvreté. Sa mère demande la séparation d’avec son mari afin de retourner en France et de recouvrer ses biens. Lors d’un séjour de trois ans à Venise, un prêtre introduit le jeune Eugène à la spiritualité des Jésuites et à la dévotion à Marie. Sa vocation de prêtre date de là, écrira-t-il plus tard.

Eugène a 20 ans lorsqu’il revient dans sa ville natale. Il veut rattraper le temps perdu en voulant jouir de la vie. Doté d’un tempérament fort, impulsif et généreux, il est tiraillé spirituellement. Il projette d’épouser une jeune femme riche, mais celle-ci meurt soudainement. Il cherche un sens à sa vie. Le clergé lui paraît dans une condition désastreuse et le peuple, dans une ignorance religieuse. Il est résolu de répondre aux besoins de l’Église, mais comment? Jésus crucifié lui fera signe.

Le Vendredi saint 1807, Eugène vit une expérience mystique qui lui fait mieux comprendre l’amour du Christ Rédempteur qui a versé son sang pour le pardon des péchés. Cette grâce de « conversion » l’aide à s’abandonner à la miséricorde divine. Comme réponse à cette grâce, il décide de se donner totalement à Jésus. Il entre au séminaire Saint-Sulpice à Paris. Désormais, il ne séparera pas amour de Dieu et amour du prochain.

Un chrétien authentique

Ordonné prêtre à 29 ans, il écrit à son conseiller spirituel : « Il n’y a plus que de l’amour dans mon cœur. » Il refuse un poste prestigieux pour réaliser un grand désir : être le serviteur et le prêtre des pauvres. Il retourne à Aix-en-Provence pour évangéliser, avec ardeur et sensibilité, les pauvres, les prisonniers, les jeunes. Il constate l’étendue de la misère du clergé et de l’ignorance religieuse des milieux pauvres. Son tempérament méridional tout d’une pièce fait de lui un missionnaire avant tout, un amoureux de Jésus Christ et des plus pauvres.

Se sentant un peu seul dans sa mission apostolique et cherchant un équilibre entre la prière et le service du prochain, Eugène veut réunir un groupe de prêtres fervents. En 1816, il fonde la Société des Missionnaires de Provence. Il prononce ses vœux de religion avec son ami l’abbé Tempier. En 1826, le pape Léon XII approuve la congrégation sous le nom de Missionnaires oblats de Marie Immaculée. Les oblats auront pour mission de prêcher la parole de Dieu aux pauvres des campagnes de Provence, mais leur désir de raviver la foi embrassera la terre entière. Leur devise : « Il m’a envoyé évangéliser les pauvres. »

Eugène vivra un temps d’épreuve : défections dans sa congrégation, deuils, oppositions du clergé, suspicion du Saint-Siège. C’est un peu sa crise de la quarantaine. Ce passage difficile du mitan de sa vie le rend malade et le conduit au bord de la dépression. Il en sort plus humble, plus doux et plus fort dans sa foi. Les fruits de cette nouvelle naissance ne tarderont pas. Confiant, il met en pratique ce qu’il avait écrit à 35 ans : « Pourquoi craindre? Il faut agir pour Dieu et selon Dieu. Arrive ce qui pourra. »

Un saint crédible

Nommé évêque de Marseille en 1837, Eugène est pasteur d’un diocèse en pleine croissance. Il augmente le nombre de paroisses et d’associations religieuses, s’occupe des immigrants de plus en plus nombreux. Il pose la première pierre de ce qui deviendra la cathédrale et le sanctuaire de Notre-Dame-de-la-Garde, la « Bonne-Mère » des Marseillais. Lorsqu’on se rend à Marseille, par la route ou par la mer, impossible de ne pas apercevoir cette tache claire trônant sur la masse des collines et dominant la ville.

Le 8 décembre 1854, Mgr Eugène de Mazenod se rend à Rome pour participer dans la joie à la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception. Il se réjouit aussi de voir ses oblats de Marie Immaculée se répandre dans le monde. Ceux-ci étaient arrivés au Canada en 1841. Ce fut le début d’un grand rayonnement, des plaines de l’Ouest au cercle polaire. Puis ce sera l’Angleterre, les États-Unis, l’Afrique du Sud, l’Irlande. À sa mort, il y aura plus de 400 oblats dans le monde, dont la moitié à l’extérieur de la France. Eugène correspondra souvent avec ses missionnaires, à l’exemple de saint Paul, se montrant un supérieur attentif et compréhensif. Il développera souvent les thèmes de la confiance en soi et en Dieu, de la conversion, de la sainteté accessible à tous, de l’amour de Jésus. Pour lui, aimer le Christ, c’est aimer l’Église, et vice-versa.

Homme d’oraison silencieuse, de cette écoute de la présence intérieure de Jésus avec Marie, il écrit : « Pour ce qui est des outrages personnels, cinq minutes d’oraison au pied de mon crucifix suffisent pour me les faire oublier. » Il exhorte ses oblats à la vie d’oraison et à la célébration de la messe quotidienne : « Quelles que soient vos occupations, ne manquez jamais de faire votre oraison. » Il demeure ouvert à l’action de l’Esprit Saint qui le guide dans sa vie spirituelle. Il trouve Dieu autant dans l’action que dans la contemplation en se laissant façonner par le Christ. Mais c’est dans l’Eucharistie qu’il retrouve tous ses fils. Il écrit : « En nous identifiant chacun de notre côté avec Jésus Christ, nous ne ferons qu’un avec lui, et par lui et en lui nous ne ferons qu’un entre nous. » Sa spiritualité, enracinée dans l’Évangile, est exprimée dans les Constitutions et Règles de son Institut.

Joseph Fabre, deuxième supérieur général de la Congrégation, rapporte les dernières paroles de ce grand cœur qui meurt à Marseille, entouré des siens, à 78 ans : « Je meurs heureux de ce que le bon Dieu a daigné me choisir pour fonder dans l’Église la Congrégation des oblats […] Pratiquez bien parmi vous la charité, la charité, la charité, et au dehors, le zèle pour le salut des âmes. »

Le père Fabre raconte : « Nous récitâmes [vers 21 h 30] le Salve Regina, que notre bien-aimé Père comprit et suivit tout entier. À ces paroles : Montrez-nous votre Fils après cet exil, il ouvrit un peu les yeux. À chacune des invocations Ô clémente, Ô charitable, il fit un léger mouvement. À la troisième, Ô douce Vierge Marie, il rendit le soupir… » C’était le dimanche de la Pentecôte, 21 mai 1861.