Le blogue de Jacques Gauthier
École de prière (36) Un peu d'humour dans l'oraison
L’oraison est une forme de prière si simple que plusieurs l’abandonnent en chemin. Serait-ce parce nous manquons d’humour? Il faut être capable de ne pas trop se prendre au sérieux quand on se recueille de longues minutes en silence, sans effort, dans une attention amoureuse à Dieu. Il est là, je suis là, même si je ne ressens rien. Le Seigneur voit notre intention plus que notre attention, souvent déficiente. Nous restons tranquilles, en paix, attendant tout de lui, dans la foi, l’espérance et l’amour. Ce temps perdu pour Dieu creuse le désir qui se manifeste par une aspiration au dépassement, à la liberté, à l’amour. L’oraison éveille le désir; la volonté d’aimer le déploie.
Être là
Un jour, le curé d’Ars avait terminé son heure d’oraison dans l’église en ayant l’impression que Dieu était bien loin. Il ressentait une grande sécheresse intérieure, comme il arrive souvent à celles et ceux qui persévèrent dans ce cœur à cœur avec Jésus. Le bon curé se leva, regarda le crucifix et dit avec humour : « En tout cas, Seigneur, moi j’étais là ».
Certes, le Seigneur est toujours là, mais il peut sembler éloigné, silencieux, distant. On peut donc lui en faire doucement le reproche avec le psalmiste qui demande au Seigneur s’il l’a oublié et pour combien de temps il va lui cacher son visage (cf Ps 12). Ce qui faisait dire à Thérèse d’Avila : « De la manière que vous traitez vos amis, Seigneur, je comprends que vous n’en ayez pas beaucoup ».
Mère Teresa a vécu pendant cinquante ans le sentiment angoissant de l’absence de Dieu. Derrière son merveilleux sourire se cachait une nuit de la foi qu’a connue sa patronne Thérèse de Lisieux. Mère Teresa s’est accrochée à la foi pure, luttant contre ce tourment que Dieu n’était pas Dieu, qu’il n’existait pas. Cela ne lui a pas enlevé son humour et sa joie, fruits de ses heures d’adoration où elle étanchait la soif de Jésus.
Sœur Emmanuelle, décédée en octobre 2008, rayonnait aussi d’une joie contagieuse. Le mot qu’elle aimait répéter était arabe : Yalla! « En avant ». Pour elle, Dieu était toujours en avant et elle lui parlait familièrement dans l’oraison comme on parle à un ami. Sa foi était pétrie d’espérance. Devant un obstacle, elle prenait son chapelet, récitait une dizaine et retrouvait le sourire.
Humilité et humour
Les saints ont de l’humour dans leur relation avec le Seigneur. « Un saint triste est un triste saint », assure un proverbe. Ils ont l’art de ne pas trop se prendre au sérieux, car ils sont détachés d’eux-mêmes. Pensons à la joie de François d’Assise, au bon sens de Bernadette Soubirous, à la bonhommie de Jean XXIII. Et si l’humour était une forme de sainteté qui s’apparente à l’humilité où l’on se laisse relever par le Christ.
Quelqu’un faisant oraison tous les jours devient plus humble, plus vrai, plus détaché de lui-même, plus tourné vers les gens qui l’entourent. Il ne se prend pas pour quelqu’un d’autre, mais il vit le moment présent et espère en son Seigneur. Il est capable de sourire malgré les difficultés de la vie car il sait que le Christ l’accompagne sur son chemin de croix.
L’oraison purifie le regard, dédramatise le quotidien, donne des ailes à l’amour. Si nous l’abandonnons en route, nous pouvons toujours recommencer en y mettant un peu d’humour et du cœur. Comme disait Gandhi, « Mieux vaut mettre son cœur dans la prière sans dire beaucoup de paroles, que de trouver des paroles sans y mettre son cœur ».
La conscience d’amour
L’humilité et l’humour nous aident à traverser la vie en nous fiant au Seigneur. L’une ne vas pas sans l’autre, dans la vie quotidienne autant que dans l’oraison. Nous sommes des « terreux », il y a de l’humus sous nos souliers. C’est avec toute la fragilité de nos racines que nous allons à Dieu dans l’oraison. L’important est de tenir bon, de ne pas se décourager, de consentir à l’humour divin : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort» (1 Co 1, 27).
L’oraison contemplative nous fait retrouver notre conscience d’amour, notre cœur d’enfant. Nous nous laissons porter par ce Dieu qui a soif de notre amour, qui veut naître dans la crèche de notre cœur. Nous entrons dans son jeu divin, nous contemplons son mystère de la Nativité. Nous nous abandonnons dans ses bras comme un petit enfant s’endort sans crainte dans les bras de son père. Heureux celui qui se repose ainsi, il ne fatigue pas les autres.
Prière attribuée à saint Thomas More
Donne-moi une bonne digestion, Seigneur, et aussi quelque chose à digérer. Donne-moi la santé du corps, aide-moi à la garder au mieux. Donne-moi une âme sainte, Seigneur, qui ait les yeux sur la beauté et la pureté, afin qu'elle ne s'épouvante pas en voyant le péché, mais sache redresser la situation. Donne-moi une âme qui ignore l'ennui, le gémissement et le soupir. Ne permets pas que je me fasse trop de souci pour cette chose encombrante que j'appelle moi. Seigneur, donne-moi l'humour, pour que je tire quelque chose de cette vie et en fasse profiter les autres. Amen.
Texte publié dans Magnificat, décembre 2015, p. 7-9.
Pour aller plus loin: Expérience de la prière (Parole et Silence)
À propos de l'auteur
Marié et père de famille, poète et essayiste, son oeuvre comprend plus de 80 livres, parus au Québec et en Europe, et traduits en plusieurs langues. Il a enseigné vingt ans à l'Université Saint-Paul d'Ottawa. Il donne des conférences et retraites que l'on retrouve dans sa chaîne YouTube. Pour en savoir plus: Voir sa biographie.
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