Ecole des chiensDaniel Guénette, L’école des chiens, Montréal, Triptyque, 2015, 268 pages.

Attristé par la perte de mon Tom (voir le billet du blogue C’était un bon chien), L’école des chiens a été un baume sur mon deuil. Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. Je lui ai donné, il m’a remis au centuple. Il est venu et j’ai vécu, autrement, beaucoup mieux » (p. 87).

 L’auteur apprivoise lentement son deuil en remontant le fil des souvenirs et des promenades, un peu à la manière de Jean-Jacques Rousseau. L’ami fidèle, issu d’un croisement entre le border collie et le golden, lui sert de guide, et de maître aussi. Se révèle le fort lien affectif qui le relie à Max. « Je viens de réaliser le bien-fondé du discours évangélique qui veut que là où est notre cœur, se trouve notre trésor. Or quel est aujourd’hui cet or qui scintille au fond de moi, si ce n’est cet ensemble de souvenirs que je chéris justement comme le plus précieux de mes biens ? » (p. 87).

Daniel Guénette, que je ne connaissais pas, m’avait écrit ce commentaire à la fin du billet de mon blogue paru dans quelques journaux : « Tom et tous les chiens que nous aimons nous quittent mais nous accompagnent jusqu'à la fin. Ces histoires de chiens ne sont pas insignifiantes. Elles nous apprennent quelque chose ». C’est ce que nous montre son livre : « À l’école des chiens, le maître apprendra » (p. 19).

Le titre désigne un terrain qui servait de cour de récréation d’une vieille école abandonnée. Maîtres et chiens s’y réunissaient pour socialiser et vivre « la poésie canine ». Le titre signifie également se mettre à l’école des chiens, car ils nous apprennent plein de choses si nous savons les regarder et les écouter : la gratuité du jeu, la douceur de l’affection, la simplicité de l’enfance, l’importance de la confiance, la beauté du moment présent, les vertus du repos, du silence, de la rêverie et de la solitude. « Car, en compagnie de son chien, le maître est enfin seul avec lui-même » (p. 215).

Dès l’apparition du chiot sous son toit, l’horizon de la famille Guénette s’élargit. Daniel se sent responsable d’une vie qui, même si ce n’est pas celle d’un enfant, l’engage tout de même à donner le meilleur de lui-même. Cela tombe bien, car il a besoin de ce défi, ou de cette thérapie, à ce moment de sa vie. En s’occupant de sa bête obéissante et enjouée, il se décentre de lui-même, se promène en rêvassant, découvre des rues de son quartier, retrouve la forme physique, voit le monde et la vie autrement. Ce compagnonnage le conduit plus près de l’être que du « faire », de son noyau d’enfance le plus dur. Mais qui est le maître ? Nous sommes ici dans l’ordre de l’amitié, de la douce complicité.

« Avais-je une âme ? À n’en point douter, j’avais certainement une conscience morale. Mais si j’avais perdu quelque chose au fil des ans, ne serait-ce que mon enfance, je ne crois pas exagérer en disant que ce chien, en arrivant dans notre vie, m’a précisément rapporté une grande part de l’enfance que j’avais égarée ça et là en cours de route » (p. 89).

Les mots du poète se heurtent à l’absence de Max qui lui a donné le présent de sa présence et lui a fait retrouver cette part d’enfance, latente en chacun de nous, comme l’écrit si bien Gaston Bachelard dans La poétique de la rêverie : « Nous ne pouvons pas aimer l’eau, aimer le feu, aimer l’arbre sans y mettre un amour, une amitié qui remonte à notre enfance. Nous les aimons d’enfance. Toutes ces beautés du monde, quand nous les aimons maintenant dans le chant des poètes, nous les aimons dans une enfance retrouvée, dans une enfance réanimée à partir de cette enfance qui est latente en chacun de nous. » 

Daniel Guénette butine les fleurs de ses rêveries avec la substance des souvenirs. Il brode son récit de fragments de vie, de petites touches d’âme, par lesquels la bête aimée revit. Par ricochet, la figure maternelle renaît elle aussi, attendrissante devant sa crèche de Noël qu’elle contemple toute l’année. Toujours l’enfance, et l’importance du lien. L’évocation de la maladie et du décès de la mère dans un centre hospitalier de soins de longue durée s’insère tout naturellement dans ce récit autobiographique axé sur la fraternité et la mémoire. « Nous pleurons nos êtres chers : parents, enfants, compagnons et compagnes de vie. Mais il est humain aussi de pleurer nos chiens, qui semblent parfois plus humains que nous » (p. 121).

L’écrivain retarde le point final du récit, devenu au cours des pages la niche dorée de son cher Max. Les mots redonnent vie à ce qu’il était. Il étire la fin comme un point d’orgue pour mieux recueillir le dernier souffle du fidèle compagnon, le prolonger dans sa chair en signe de gratitude, emporter son odeur jusque dans ses rêves. Il lui parle une fois de plus, avec tendresse, au vif de la piqûre létale. « Je te fis ensuite coucher sur le flanc, je plongeai mon nez dans le creux de ton oreille, j’aspirai la bonne odeur qui avait si souvent fait mes délices. Jamais de toute ma vie je ne t’avais aimé si fort. Je recueillis enfin ton dernier soupir » (p. 264-265).

Puissance de l’écriture. Je revis le dernier moment avec mon Tom, son odeur et son regard, l’ultime merci que mon fils et moi lui rendons à la clinique du vétérinaire. C’était un bon chien, et comme Max, il mériterait bien un livre dans le Panthéon des chiens. « De lui, émanait tout simplement la pure essence de son être. Il lui suffisait d’être » (p. 137). 

Pour aller plus loin, relire mon blogue et les commentaires: C'était un bon chien.
Lire également la version écourtée et les commentaires dans Le Journal de Monréal du 10 août.