Entretien avec Clémence Houdaille pour La Croix, Paris, vendredi 14 octobre 2022 : « L’Église ne peut être que résurrection ».
 
Jacques Gauthier. Conférencier, poète et essayiste, le Québécois a publié plus de 80 ouvrages de spiritualité. Il se livre aujourd’hui dans une « autobiographie spirituelle ».
 
La Croix couvertu
 
Après avoir consacré tant d’ouvrages à des figures spirituelles et poétiques, vous avez décidé de vous livrer dans une « autobiographie spirituelle ». Pourquoi ?
Jacques Gauthier : J’aime mieux parler des autres que de moi-même. Mais, avec la pandémie, j’ai eu du temps pour faire cette rétrospective sur mon parcours, et surtout sur les traces de Dieu dans ma vie. C’est quelque chose que je n’aurais pas pu faire à 40 ans. Mais à 70 ans, après avoir vécu des moments de désert, de nuit, c’est différent. J’ai vu partir aussi mes parents, qui sont morts il y a quatre ans, à trois mois d’écart. Je leur dois de m’avoir révélé la beauté et l’amour de Dieu. Mon père est mort dans mes bras, alors que je récitais le Notre Père. Ma mère a dit : « Il est parti. » Je lui ai répondu : « Non maman, il est arrivé. » J’ai la conscience très forte que chaque jour je peux mourir, c’est une chose à laquelle je suis très sensible. Cela fait partie des raisons pour lesquelles j’aime tant Thérèse de Lisieux, pour qui la « vie n’est qu’un instant, une heure passagère », et qui veut aimer Jésus « rien que pour aujourd’hui ».
 
Thérèse de Lisieux vous inspire tout particulièrement, mais aussi Charles de Foucauld, Jean de la Croix… D’où vient cet attachement à ces figures spirituelles ?
J. G. : Après ma conversion, en 1973, je suis venu en France, à Trosly-Breuil (Oise), à l’Arche, et chez les trappistes de Bellefontaine. Puis je suis entré à la Trappe d’Oka, au Québec. Je sentais un appel à la vie monastique. L’adoration me donnait un élan vital et je voulais consacrer ma vie au Christ. J’ai passé quatre ans au monastère. Le père abbé d’Oka était quelqu’un d’équilibré, qui n’était pas là pour remplir les rangs coûte que coûte. Il m’a dit : « Tu n’es pas fait pour nous autres ici. Tu peux venir quand tu veux, mais tu as une vocation dans le monde. » Ces frères qui n’ont jamais voulu me retenir sont devenus des amis, je leur ai même prêché une retraite plus tard.
Ce temps vécu au monastère m’a structuré et donné le goût de la tradition. J’aime creuser ma tradition chrétienne. Nous avons des auteurs exceptionnels, que ce soit saint Augustin, saint Bernard, saint Jean de la Croix, saint Louis-Marie Grignion de Montfort… Pendant la pandémie, comme je ne pouvais plus aller donner des retraites, j’ai créé une chaîne YouTube où j’ai mis en ligne 160 vidéos sur les anges, sur la petite Thérèse… Je constate qu’il y a vraiment un public pour cela, qui serait prêt à se tourner vers l’ésotérisme, alors que nous avons tout dans la tradition de l’Église pour répondre à leurs questions.
 
Vous avez consacré votre thèse de doctorat à Patrice de La Tour du Pin. La poésie tient une place de choix dans votre spiritualité ?
J. G. : La poésie est une manière d’être. C’est le peu qui dit beaucoup. Les deux grands phares dans ma vie sont Thérèse de Lisieux et Patrice de La Tour du Pin. Je dois beaucoup aux Français ! Thérèse, elle m’aide à vivre. Ses poèmes, on peut les trouver un peu mièvres, mais ils me font pleurer à chaque fois. Plus le temps passe, plus ça devient une folie pour moi. Elle vient me chercher, cette petite fille-là, ça n’a pas de bon sens. Je comprends que Bernanos ait craqué pour elle, Piaf aussi ! Elle nous amène loin, Thérèse, ce n’est pas des blagues. C’est certainement la Française la plus connue à travers le monde.
Quant à Patrice de La Tour du Pin, ça a été une joie de lui consacrer ma thèse de doctorat. Il m’aide à prier. Il y a des fulgurances dans ses vers : « Vous qui cherchez Dieu, n’oubliez pas que Dieu vous cherche. Il vous fait signe afin de faire de vous ses signes vivants. » Le peu qui dit tout, ça, c’est le travail du poète. C’est le langage le moins inconvenant pour dire Dieu.
 
Vous êtes très sensible aux traces de Dieu dans votre vie. Mais votre parcours est marqué par l’accompagnement spirituel du père Thomas Philippe, de Jean Vanier, tous deux convaincus par la suite d’agressions sexuelles. Où sont les traces de Dieu ici ?
J. G. : Je suis tombé de haut quand j’ai appris ce qui était reproché à Thomas Philippe, puis à Jean Vanier. Ces révélations sont lourdes, et me jettent par terre. Je m’interroge encore sur les raisons de leurs actes. Je n’avais rien, rien vu, à l’époque. Pour moi c’était des hommes de prière, et de charisme. Maintenant, je sais aussi qu’ils étaient des séducteurs, coupables d’emprise. Le danger est quand on met une personne sur un piédestal. Idolâtrer quelqu’un, c’est le fragiliser, et se mettre en danger soit même. Il faut briser les statues. Et surtout, vraiment tenir à son temps d’oraison quotidien, ne pas chercher la gloire… Je donne beaucoup de retraites aux prêtres, sur l’oraison. Je suis marié, j’ai quatre enfants, des petits-enfants. Cela me donne un équilibre. Si je n’étais pas marié, j’aurais peut-être sombré aussi…
Mais je crois que l’Église n’a jamais été aussi belle, avec tout ce qui nous tombe dessus… Elle est dans une purification incroyable, près de Jésus sur la croix : elle ne peut être que résurrection. Elle est dans la merde jusqu’au cou, c’est sûr. Mais il faut l’accepter, car c’est à travers ça que les fleurs vont pousser. La foi ne s’éteindra jamais, car la Bonne Nouvelle est trop bonne, est trop belle. Mais il faut arrêter de vouloir sauver l’institution.
 
Lorsque le pape est venu au Canada, en juillet dernier, il a demandé pardon aux autochtones pour les maltraitances subies dans des pensionnats souvent confiés à l’Église. C’est suffisant selon vous ?
J. G. : Ce que le gouvernement fédéral a fait aux Indiens, en voulant « tuer l’Indien en eux », les civiliser, c’est une page sombre de notre histoire. Je trouve que le pape a été très audacieux. Ce pape-là n’a pas peur de la vérité et d’employer les mots justes. Il l’a dit, c’était un génocide. On est tous pécheurs, et notre pape constamment nous rappelle ça. C’est vraiment un frère, et je comprends qu’il y en ait qui ne l’aiment pas, ça les désinstalle. Ce n’est pas reposant un pape François !
 
Comment aller au-delà de nos résistances à accepter la vérité sur les faces sombres de l’Église ?
J. G. : J’aime beaucoup ce que dit Jésus : « Celui qui fait la vérité vient à la lumière. » L’Église œuvre à faire la vérité. Nous devons demander pardon, sans avoir peur, sans cacher. L’Église est un corps, dont je me sens partie prenante. Ce n’est pas une organisation, c’est un organisme vivant, qui vit de la foi de ses membres. Quand un membre est dans la joie, tout le monde se réjouit. Quand quelqu’un dévie, ou souffre, on souffre tous. Avec les victimes.
 
Que pouvons-nous changer, dans nos vies, dans nos manières d’être, pour purifier l’Église ?
J. G. : Je crois que le principal est la simplicité. Il faut être simple avec les autres, et avec le Seigneur, il ne faut pas attendre l’encensoir. Nous devons aussi accueillir les humiliations dans nos vies. Faire croire que tout est bien, beau, lisse, parfait, ça sent mauvais. C’est un des pièges du cléricalisme, avec le goût pour le pouvoir. Toute agression est un abus de pouvoir ! C’est le danger, quand on est en position d’autorité.
Je le vois quand je m’adresse à des jeunes, quand je leur prêche des retraites. C’est très stimulant, car ils ont une grande innocence, sans arrière-pensée. La seule chose qui les intéresse c’est qu’on soit vrai quand on parle. Mais c’est là aussi qu’il peut y avoir un danger, car ils sont très malléables. Quand on commence à être le centre d’attraction de personnes en quête d’affection, donc vulnérables, il faut se rappeler notre imperfection, redoubler de simplicité.
La rigidité et le cléricalisme que dénonce le pape peuvent d’ailleurs exister aussi chez les laïcs. Le besoin de se donner un titre, un rôle, une fonction… C’est pour cela que je n’ai jamais voulu être diacre, même si on me l’a souvent demandé. Je suis baptisé, appelé à la sainteté, ça suffit. Il est arrivé que lors des retraites que j’anime, des évêques ou des prêtres me demandent de lire l’Évangile au cours de la messe. J’ai dit non : à chacun son rôle. Je veux bien faire un commentaire, mais dans le cadre de la liturgie, chacun a son rôle.
 
Jacques Journal La Croix
 Photo: Édouard Monfrais-Albertini pour La Croix
 
La simplicité d’un théologien
 
C’est à l’occasion de la Semaine thérésienne, qui s’est déroulée du 28 septembre au 1er octobre, fête de la petite Thérèse de Lisieux qui lui est si chère, mais aussi du Congrès Mission, qui a eu lieu à Paris au même moment, que Jacques Gauthier est venu en France. L’occasion, pour le poète et théologien ­canadien, de présenter lors de conférences son dernier ouvrage, dans lequel il livre son parcours spirituel (1). D’une simplicité désarmante, Jacques ­Gauthier retrace une vie emblématique des époques traversées. Entre son enfance, avant le concile Vatican II, dans un ­Québec profondément catholique, et ces derniers mois marqués par le voyage du pape François au Canada, demandant pardon aux autochtones, Jacques ­Gauthier est passé par une période hippie, une conversion radicale qui l’a conduit dans une communauté déviante, puis sous l’influence de Thomas Philippe et de Jean Vanier, avant de trouver sa voie dans la théopoésie de Patrice de La Tour du Pin, une carrière universitaire, et l’écriture de plus de 80 ouvrages de spiritualité largement diffusés en France.
(1) En sa présence, autobiographie spirituelle, Artège, 328 pages, 21,90 €.
 
Repères
De l’expérience à l’étude du religieux
 
Le 4 décembre 1951, naissance de Jacques Gauthier à Grand-Mère, près de Trois-Rivières, au Canada.
En 1971, début de la période hippie de Jacques Gauthier.
En 1972, rencontre avec le Renouveau charismatique et conversion. Il fréquente pendant six mois une communauté nouvelle qui se révélera ­déviante et sera dissoute.
En 1973, touché par un témoignage de son compatriote Jean Vanier, vu à la télévision, il part pour la France et rejoint Trosly-Breuil (Oise). Jacques Gauthier rencontre Marthe Robin. Il passe quelque temps à la trappe de Bellefontaine (Maine-et-Loire) puis rentre au Canada où il entre au noviciat de la trappe d’Oka.
Après quatre ans de vie monastique, il se consacre à une thèse de doctorat à l’Université Laval de Québec, portant sur la théopoésie de Patrice de La Tour du Pin. Il se spécialise ­également sur Thérèse de Lisieux.
En 1978, il se marie avec Anne-Marie, avec qui il a quatre enfants, et mène une carrière universitaire, mais aussi d’auteur, poète, conférencier, et animateur de retraites spirituelles.
 
Recueilli par Clémence Houdaille
https://www.la-croix.com/Religion/Jaques-Gauthier-LEglise-peut-etre-resurrection-2022-10-12-1201237372
 
Vidéo de ma conversion à vingt ans, dans ma chaîne YouTube.