Le blogue de Jacques Gauthier
L'évangile de Jean et Thérèse de Lisieux
Dumoulin, Pierre, Lire l’évangile de Jean. Avec Thérèse de Lisieux, France, Éditions des Béatitudes, 2016, 324 p.
Pierre Dumoulin est diplômé de l’Institut Biblique Pontifical. Il a publié une dizaine de livres, dont une excellente biographie d’Hildegarde de Bingen, ainsi que deux livres sur l’évangile de saint Jean. Avec cet ouvrage, le bibliste tient compte des récentes découvertes de l’exégèse pour mieux approfondir sa lecture historique, théologique et spirituelle du quatrième évangile qu’il divise en deux grandes parties : le livre des signes et le livre de l’heure. Des textes de Thérèse de Lisieux sont proposés à la fin de chaque chapitre, prolongeant le commentaire et le transformant en prière. Ces textes ont déjà été rassemblés dans l’ouvrage de Mgr Guy Gaucher, La Bible avec Thérèse de Lisieux.
Les écrits de la petite Thérèse sont sursaturés de références bibliques. Sans avoir appris les langues bibliques, elle est pour Dumoulin « l’un des plus grands exégètes des temps modernes » (p. 14). Cette affirmation audacieuse me rappelle les propos que Jean-Paul II tenait à l’assemblée plénière de la Congrégation pour la doctrine de la foi : « Sainte Thérèse de Lisieux, docteur de l’Église, à travers sa sage réflexion alimentée aux sources de l’Écriture Sainte et de la Tradition divine, en pleine fidélité aux enseignements du Magistère, indique à la théologie d’aujourd’hui la route qu’elle doit parcourir pour atteindre le cœur de la foi chrétienne. » (Osservatore Romano, en langue française, 4 novembre 1997, p. 3).
Dumoulin affirme dans l’introduction que le quatrième évangile est « le récit d’un ami, recueilli par une communauté, rédigé par un auteur inspiré ». Il conclut rapidement en disant que ce « disciple que Jésus aimait » n’est pas le fils de Zébédée, frère de Jacques, mais un autre Jean, qualifié de « Presbytre » (Ancien), dont la tombe est gardée à Éphèse. Or, cette hypothèse ne rallie pas tous les exégètes, encore moins Thérèse, fidèle à la tradition de l’Église.
Dès le IIe siècle, les traditions ecclésiastiques (Irénée, Clément d'Alexandrie) nomment Jean de Zébédée le disciple bien-aimé, celui qui s’est penché sur la poitrine de Jésus lors de son dernier repas. Pendant vingt siècles, l'auteur du quatrième évangile sera identifié à l’apôtre Jean. « C’est ce disciple qui témoigne de ces choses et qui les a écrites, et nous savons que son témoignage est vrai » (Jn 21, 24). Ce chapitre 21 est un ajout de la communauté johannique, d’où le pronom « nous ».
On peut s’interroger comment un jeune homme de Galilée parlant araméen peut être l’auteur de tout cet évangile grec? Jésus lui a-t-il donné un enseignement particulier qui va plus loin que ce qu’il expliquait à ses disciples? Pourquoi ce proche compagnon de Jésus donne-t-il des données si différentes dans ses écrits? On sent une unité dans l’inspiration de l’œuvre, mais celle-ci n’est pas très bien ordonnée, d’où l’hypothèse de plusieurs auteurs.
Par contre, si « le disciple bien aimé » n’est pas Jean de Zébédée, pourquoi ce Jean le Presbytre est-il absent du reste du Nouveau Testament? Inversement, pourquoi le fils de Zébédée, si présent chez les autres évangélistes, serait-il presque totalement absent de l’Évangile qui porte son nom ? Dumoulin ne donne pas de réponses à ces questions, car l’objectif du livre n’est pas d’entrer dans une polémique sur l’identité de l’auteur du quatrième évangile, mais de conduire le lecteur à une contemplation amoureuse du Christ. Pourtant, dans l’introduction il ouvre la porte au débat en prenant parti pour Jean le Presbytre.
Les recherches exégétiques ont montré qu’il y a dans l’Évangile de Jean des collages, ajouts, révisions, qui ont été faits par ses disciples les plus proches, comme Jean l’Ancien, appelé « le Presbytre ». Il apparaît comme l’expéditeur et l’auteur de la Deuxième et Troisième lettre de Jean : « Moi, l’Ancien » (2 Jn 1, 1). Celui-ci pourrait avoir eu une fonction essentielle dans la rédaction de l’Évangile, comme le souligne Benoît XVI : « Après la mort de l’apôtre, c’est lui qui fut considéré comme étant pleinement le détenteur de son héritage. Et dans la mémoire, les deux figures ont fini par se confondre de plus en plus. Nous pouvons en tout cas attribuer un rôle essentiel au « prêtre Jean » dans la rédaction définitive du texte évangélique; mais il se considérait avant tout comme l’administrateur de l’héritage reçu du fils de Zébédée. » (Jésus de Nazareth, Paris, Parole et Silence, 2014, p. 295).
Quels que soient les auteurs, l’Évangile de Jean demeure l’évangile de l’amour inspiré par l’Esprit, comme le montre Dumoulin à la lumière des textes de Thérèse de Lisieux. En cela, il est fidèle à l’esprit du disciple bien-aimé, que nous sommes tous appelés à devenir.
Recension parue dans la revue de l'Université Saint-Paul d'Ottawa, Theoforum, no 46, p. 388-389.
Pour aller loin, lire ce billet de mon blog sur saint Jean, extrait du livre Les saints, ces fous admirables (Novalis). Voir également Dix attitudes intérieures, la spiritualité de Thérèse de Lisieux.
À propos de l'auteur
Marié et père de famille, poète et essayiste, son oeuvre comprend plus de 80 livres, parus au Québec et en Europe, et traduits en plusieurs langues. Il a enseigné vingt ans à l'Université Saint-Paul d'Ottawa. Il donne des conférences et retraites que l'on retrouve dans sa chaîne YouTube. Pour en savoir plus: Voir sa biographie.
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