Le blogue de Jacques Gauthier
Mère Teresa: une sainte des ténèbres
Mère Teresa de Calcutta sera canonisée à Rome le 4 septembre durant l’Année sainte de la miséricorde. À la suite de Jésus, elle aura été un visage crédible de la miséricorde du Père pour notre temps. Elle se présentait ainsi, non sans humour : «De sang, je suis albanaise, de citoyenneté, indienne ; de religion, catholique ; par ma mission, j’appartiens à tout le monde ; mais mon cœur n’appartient qu’à Jésus». Voici un résumé de sa vie et de son message à partir de mon livre J’ai soif. De la petite Thérèse à Mère Teresa (Parole et Silence), réédité en poche à l’occasion de sa canonisation.
N’être qu’à Jésus
La spiritualité de la sainte de Calcutta pourrait se résumer en trois mots : Tout pour Jésus. «Only for all Jesus», répétait-elle souvent, comme une devise inscrite en son cœur. En avril 1942, elle avait prononcé un vœu privé : donner à Jésus tout ce qu’il peut demander, ne rien lui refuser. Ce vœu s'inspirait de la petite voie de confiance de Thérèse de Lisieux, qu’elle avait lue plus jeune. Elle l’avait choisie pour homonyme parce qu’elle faisait des choses ordinaires avec un amour extraordinaire. Pour les deux Thérèse, la sainteté n’est pas destinée à une élite, auréolée ou non, elle est le devoir de tous,
Agnès Gonxha Bojaxhiu naît le 26 août 1910 de parents albanais à Skopje en Macédoine. Elle est baptisée le lendemain. Son père Nikolle meurt subitement lorsqu’elle a neuf ans. Sa mère Drana va s’occuper de la famille qui compte trois enfants. Son désir d’être tout à Jésus croît avec les années et l’entraîne à devenir postulante à dix-huit ans chez les Sœurs de Notre-Dame de Lorette, appelées aussi « Dames Irlandaises », très actives en Inde. Elle part pour Dublin apprendre l’anglais et commence son noviciat en Inde. Elle prononce ses vœux définitifs dans l’ordre de Lorette le 24 mai 1937.
En 1944, elle est nommée directrice de l’école où elle enseigne. Elle accueille ces responsabilités dans la joie, même si elle ne se sent pas à la hauteur, puisque ses supérieures le lui demandent. Elle ne pouvait rien refuser quand c’était pour Jésus, semant la gaieté autour d’elle, même dans les contrariétés quotidiennes.
Une Québécoise me raconta cette anecdote. Elle était partie quelques semaines avec sa fille pour travailler au mouroir de Calcutta. À la fin de leur séjour, elle voulut prendre Mère Teresa en photo avec sa fille. «No photo, no photo» s’exclama Mère Teresa. La dame insista : «For Jesus, Mother». Elle répliqua en souriant: «Ok! Photo for Jesus, only for Jesus».
Elle montrait par l’exemple que c’est l’intensité de l’amour que nous mettons dans nos gestes qui les rendent beaux aux yeux de Dieu. Cette joie du don ouvre les cœurs blessés à la tendresse et répond à la soif de Jésus qui veut être tout pour tous.
Étancher la soif de Jésus
En septembre 1946, Mère Teresa est envoyée au couvent de Lorette à Darjeeling pour sa retraite annuelle. Le 10 septembre, pendant son voyage en train, elle ressent un fort attrait intérieur à se donner complètement au service des plus pauvres. Jésus lui fait sentir sa soif immense d’amour; il veut être consolé dans ses pauvres. Le message est sans ambiguïté; elle doit quitter le couvent et se consacrer entièrement aux pauvres en allant vers les trous obscurs des bidonvilles. Elle considèrera ce jour, célébré plus tard sous le nom de « jour de l’inspiration », ou de « l’appel dans l’appel », comme la date de naissance des Missionnaires de la Charité.
Le 8 août 1948, à l’âge de trente-huit ans, elle reçoit enfin de Rome la permission de mener une vie consacrée hors clôture. Elle dépose l’habit des sœurs de Lorette et prend le sari blanc avec bordure bleue et croix sur l’épaule, symbole de sa volonté d’imiter Marie et de servir le Christ dans ses pauvres. En 1952, elle fonde un hospice pour les mourants, symbole de sa mission de compassion et de joie envers les plus démunis. Les médias commencent à s’intéresser à elle, le monde la découvre, de nouvelles fondations de sa communauté naissent un peu partout. La religieuse répond à tous en voulant étancher la soif Jésus.
«I thirst» : «J’ai soif». Ce cri de Jésus en croix est écrit sur les murs des chapelles des Missionnaires de la Charité. C’est le pivot de la spiritualité de Mère Teresa et la raison d’être de la Congrégation. Elle l’écrit clairement, le 25 mars 1993, aux membres de sa congrégation :
«Pour moi, il est très clair que tout chez les Missionnaires de la Charité (M.C.) vise uniquement à étancher la Soif de Jésus […] La Soif de Jésus est le foyer, le point de convergence, le but de tout ce que sont et font les Missionnaires de la Charité. L’Église l’a confirmé plusieurs fois : «notre charisme est d’étancher la Soif de Jésus, Soif d’amour pour les âmes, en travaillant au salut et à la sanctification des plus pauvres parmi les pauvres» […] Tant que vous ne saurez pas, et de façon très intime, que Jésus a soif de vous, il vous sera impossible de savoir celui qu’il veut être pour vous ; ni celui qu’il veut que vous soyez pour lui.»
Si le but est clair, le moyen pour y arriver l’est autant : se donner aux autres, spécialement ceux et celles qui sont affamés, malades, nus, prisonniers, étrangers. C’est à eux que le Christ s’identifie. «Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 40). Mère Teresa ne séparera jamais le but et le moyen : «Tant que vous n’écouterez pas Jésus dans le silence de votre cœur, vous ne pourrez pas l’entendre dire «J’ai soif» dans le cœur des pauvres… Vous lui manquez quand vous ne vous approchez pas de lui. Il a soif de vous».
La nuit de la foi
La religieuse de la rue veut aimer jusqu’au bout malgré de grandes ténèbres intérieures qui dureront une cinquantaine d’années. Elle est configurée au Christ, participant à sa Passion dans son âme. En juillet 1959, elle parle de ses ténèbres au père Picachy, sous forme de prière. Dans ses écrits, elle utilise souvent le tiret, comme pour exprimer sa hâte d’aller à l’essentiel.
« Seigneur, mon Dieu, qui suis-je pour que Vous me rejetiez ? […] J’appelle, je m’accroche, je veux – et il n’y a personne pour me répondre. […] Les ténèbres sont si sombres – et je suis seule. – Indésirable, abandonnée […] Où est ma foi ? – Même au plus profond, tout au fond, il n’y a rien d’autre que le vide et l’obscurité. – Mon Dieu – qu’elle est douloureuse, cette souffrance inconnue. Cela fait mal sans cesse. – Je n’ai pas la foi. (Viens sois ma lumière, p. 218)
Son sourire cache une multitude de douleurs. Tout est obscurité en elle. Elle partage l’agonie avec Jésus, jusqu’à son cri ultime sur la Croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné »? (Mt 27, 47). Elle traverse ainsi le XXe siècle en se sentant solidaire des pauvres et des rejetés qui cherchent dans la nuit une lumière, une espérance, un sens. Le 6 mars 1962, elle écrit au père Neuner ces paroles prophétiques : « Si jamais je deviens sainte – je serai certainement une sainte des « ténèbres ». Je serai continuellement absente du Ciel – pour allumer la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres sur terre ».
Le père Neuner l’éclaire en lui montrant que ses ténèbres ne sont pas une purification de ses imperfections, mais une participation à la souffrance rédemptrice du Christ et une identification avec les pauvres qu’elle sert, éprouvant dans son âme le rejet qu’ils vivent et leur manque de foi en Dieu. C’est pour elle une libération, car elle se sent encore plus proche de Jésus souffrant. « Quand ma croix devient lourde, donne-moi la croix d’un autre à partager. » Elle puise dans la prière la force d’aimer et de s'unier au Christ : «Mon secret est infiniment simple. Je prie. Par la prière, je deviens une dans l’amour avec le Christ. Je saisis que Le prier, c’est L’aimer».
La foi chrétienne n’est pas d’abord une doctrine ou une morale, c’est un toucher et une rencontre. Ce que nous faisons à l’un d’entre nous, comme donner un verre d’eau, c’est au Christ que nous le faisons. Toucher l’être humain, c’est toucher le corps du Christ; aimer l’un, c’est aimer l’autre. Tel a été l’exemple de la sainte de Calcutta qui n’a cessé de dire au monde que le manque d’amour est la plus grande pauvreté et la plus terrible solitude. Elle recevra le prix Nobel de la paix en 1979.
Mère Teresa meurt à Calcutta le 5 septembre 1997 à l’âge de 87 ans. Elle laissait derrière elle 4,000 sœurs et 550 frères, répartis dans 517 missions de 120 pays. Elle est béatifiée six ans plus tard par Jean-Paul II. Le pape François la canonisera à Rome le 4 septembre 2016. Sa fête liturgique au calendrier romain est fixée le 5 septembre.
Pour aller plus loin : J’ai soif. De la petite Thérèse à Mère Teresa (Novalis) Les Saints, ces fous admirables (Novalis / Béatitudes),
et ce billet du blogue du 4 septembre 2014.
À propos de l'auteur
Marié et père de famille, poète et essayiste, son oeuvre comprend plus de 80 livres, parus au Québec et en Europe, et traduits en plusieurs langues. Il a enseigné vingt ans à l'Université Saint-Paul d'Ottawa. Il donne des conférences et retraites que l'on retrouve dans sa chaîne YouTube. Pour en savoir plus: Voir sa biographie.
Derniers articles de cet auteur
Sur le même sujet:
En acceptant, vous accéderez à un service fourni par un tiers externe à https://www.jacquesgauthier.com/
Commentaires