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Le blogue de Jacques Gauthier

Quand prière et poésie s'embrassent

La théologie gagne beaucoup à la fréquentation de la poésie et inversement. Dieu ne peut pas se dire totalement dans un langage discursif et rationnel. La poésie lui offre une langue qui lui permet de nous révéler une part de son mystère. Elle donne une forme au silence, tente de rendre visible l’invisible, d’approcher le mystère. La poésie est donc vouée à un certain échec qui fait sa grandeur : totalement inutile, elle nous est nécessaire dans notre monde régi par l’utilitarisme.

Le poète Patrice de La Tour du Pin (1911-1975) parle souvent de "théopoésie", qui n’est pas de la théologie en vers, mais le langage le plus apte à dire Dieu, à cause de sa dimension symbolique, qui exprime le désir sans l’épuiser, qui fait éclater le sens sans rien imposer. Pour lui, la théopoésie est le service de Dieu par la poésie, la parole d’un homme à l’écoute de l’autre Parole pour dire Dieu à ses contemporains. Elle ouvre un espace intérieur où le silence vient nous dire une parole indicible pour accomplir notre propre création. Il importe donc d’écouter ce silence qui habite l’entre-deux des mots, comme « le murmure d’une brise légère » (1R 19,12) qu’entend le prophète Élie, où Dieu se dit en se taisant et passe en se masquant. La Tour du Pin demandera aux quêteurs de joie de ne pas chercher d’abord « l’état de poésie, mais l’état d’adoration et de prière ».

Poesie Priere

La part essentielle de silence

Des poètes comme saint Jean de la Croix et Patrice de La Tour du Pin ont réussi la symbiose entre prière et poésie parce qu’ils ont donné au mystique qui vivait en eux sa part essentielle de silence. Ils expriment ce silence avec des mots qui sont comme des langues de feu. Ils m’ont appris à prier autant avec des mots qu’en accueillant le silence. Les poèmes forment la substance de leur œuvre « priante » qui s’ouvre sur autre chose que ce qu’ils nomment; ce je-ne-sais-quoi que l’on trouve de nuit, dans le clair-obscur de la foi.

Les plus belles prières sont souvent de remarquables poèmes que l’on retrouve dans les religions et sagesses. Mais prière ne rime pas nécessairement avec poésie, même si elles sont des expressions du désir. Le travail sur le langage n’est pas le même, le rythme des mots et le sens du texte diffèrent. La prière puise à une source transcendante qu’on appelle Dieu ou d’un autre nom. Elle nomme la présence et engage le cœur. La poésie dit l’ineffable d’une parole libre qui prophétise ce qu’elle est impuissante à donner totalement. Elle écoute la vie et appelle la plénitude.

Mes études sur La Tour du Pin m’ont fourni l’occasion de prier avec un crayon à la main, en cultivant l’attention aux êtres et aux choses qui m’entourent, à commencer par le plus grand d’entre eux, l’éternel amoureux, Dieu. Pour moi, la poésie, de par une énergie montante, sert de véhicule à la foi qui a besoin de la prière pour grandir. Poésie et prière me fondent dans l’existence, l’une et l’autre boivent à la même eau du désir et du don. La prière traduit la part de merveilleux qui m’habite, la poésie transmet le souffle qui veut durer.

N’y a-t-il pas dans toute vie poétique et spirituelle un seuil à franchir, une étape où l’on passe des prières à « la » prière, des poèmes à « la » poésie ? Quand prière et poésie s’embrassent, pour paraphraser un verset du Psaume 84 (v. 11), l’âme exulte, le corps chante, l’esprit danse dans l’immense cathédrale du temps et de l’espace. L’Amour qui planait sur les eaux nous engendre du dedans; il fait « tressaillir le silence au fond de toute créature » (Patrice de La Tour du Pin).

La poésie me tend la main pour exprimer ce doux feu de l'Esprit Saint qui illumine ma vie. Je ne peux que souffler sur les cendres par mon chant, écouter ce que les choses me racontent pour les dire à ma manière. Comment y arriver, si je ne pars pas de la vérité de mon être, au-delà de tout hermétisme et de toute mode littéraire, si je ne passe pas de l’esthétique à la mystique ? C’est mon chemin en poésie, solitaire et solidaire, que je fais en priant. Voir la vie en poète, mais la traverser en croyant; poésie et foi se nourrissent mutuellement dans ma quête du Christ.

Extrait de mon autobiographie spirituelle, En sa présence, Artège/Novalis, 2022, p. 148-150, 317-318.

Lire aussi dans mon blogue: Un poète et ses psaumes.
Et mon livre: Prier 15 jours avec Patrice de La Tour du Pin.

Podcast (balado) de ma rencontre avec Thierry Lyonnet pour l'émission «Visages» du 24 octobre 2022 à RCF. Nous avons parlé de l'enfance, de la foi, de la poésie, du Québec, de la langue française, de Dieu: dans ma chaîne YouTube. Ou ici:

Mon premier gros livre
L'Avent: le temps du long désir

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jeudi 28 mars 2024

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