Voici la troisième et dernière partie de mon regard de foi sur l'Église. Il a été précédé de Mon témoignage ecclésial, suivi d'une réflexion sur Le catholicisme québécois

Peut-on comprendre l'Église sans la foi? Certains la voient comme une entreprise qui est coupée du monde et qui ne veut pas entrer dans la modernité en refusant l’ordination aux femmes, par exemple. On lui reproche son attitude antidémocratique, sa culture du secret, sa conception étroite du dialogue. Décidément, l’Église catholique dérange, elle ne pense pas comme tout le monde. 

À travers l’histoire, ce sont toujours les saints qui ont été les plus grands réformateurs, parce que branchés sur l’Évangile et l’Esprit Saint. Le cardinal Ratzinger le rappelait, avant qu’il ne devienne Benoît XVI : « Ce dont nous avons réellement besoin, ce sont des gens qui sont intérieurement habités par le christianisme, le vivent comme un bonheur et un espoir, et sont ainsi devenues des âmes aimantes, c’est cela que nous appelons des saints » (Le sel de la terre).

Un mystère de foi

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Si on n’entre pas par la porte de la foi, on reste à l’extérieur du mystère de l’Église, corps du Christ et peuple de Dieu en marche. Du dehors, on la voit comme une entreprise, une institution, une organisation, non comme une Ekklesia, qui signifie « assemblée convoquée ». De l’intérieur, elle apparaît comme une réalité spirituelle dynamique, une communauté de baptisés en croissance, un organisme vivant qui vit de la foi de ses membres au Christ. Ce sont les baptisés qui font l’Église, mais rien ne dure s’il n’y pas des structures, d’où les tensions entre mystère et institution, charismes et ministères. Dans sa cathéchèse du 29 octobre 2014, le pape François se demande comment la réalité visible de l'Église peut-elle se mettre au service de sa réalité spirituelle? "En regardant le Christ, dont l’Église est le corps et qui est donc son modèle. Il est un modèle pour tous les chrétiens, notre modèle à tous".

L’Église ne participe pas à un concours de popularité ; sa préoccupation n’est pas le « vivre ensemble » dans la cité, mais le salut des âmes. Si elle change, ce n’est pas pour faire plaisir au monde, selon un plan de marketing établi, mais pour mieux remplir sa mission de faire connaître le Christ, célébrer l’Eucharistie et s’engager auprès des plus pauvres. Elle est appelée à tout donner, même imparfaitement, à la suite du Christ. Comment ne pas l’aimer, ne pas vouloir l’aimer, tant elle est humaine et divine en même temps, un peu comme nous ?

L’Église n’est pas parfaite, elle est vivante, écrit Bernanos dans Les Grands Cimetières sous la lune : « Je ne la souhaite pas parfaite, elle est vivante. Pareille au plus humble, au plus dénué de ses fils, elle va clopin-clopant de ce monde à l’autre monde ; elle commet des fautes, elle les expie, et qui veut bien détourner un moment les yeux de ses pompes, l’entend prier et sangloter avec nous dans les ténèbres. » (Essais et écrits de combat, La Pléiade).

Le Christ continué et partagé

Nous vivons actuellement en Occident une crise de la foi, une perte du sens de Dieu, une indifférence religieuse. Ce fut un trait marquant du pontificat de Benoît XVI d’avoir voulu poser la priorité de la question de Dieu dans notre monde. Il a montré que la foi authentique en Dieu favorise le respect de l’autre, promeut la paix et valorise la liberté religieuse, sinon, elle devient une idéologie au service d’une cause politique qui aliène trop souvent l’humanité. Dans un livre d’entretiens avec le journaliste Peter Seewald, Lumière du monde, il affirme : « Aujourd’hui, l’important est que l’on voie de nouveau que Dieu existe, qu’Il nous concerne et qu’Il nous répond ».

« Il est grand le mystère de la foi », proclame-t-on à chaque messe. « L’Église fait l’eucharistie et l’eucharistie fait l’Église », disait le cardinal de Lubac. Communion de Dieu et de l’humain, elle n’est pas le fan club de Jésus, mais le rassemblement de ceux qui croient en la puissance de sa résurrection. Par lui, avec lui et en lui, nous sommes appelés à vivre autrement, tournés vers le Père et vers l’autre, dans l’unité de l’Esprit Saint. Comment entrer dans le mystère du corps et du sang du Christ qui transforme la vie et le monde si notre foi est tiède?

L’Église est pour moi une sagesse divine, une mentalité où l’Esprit fait le bien, malgré le mal qui s’infiltre dans ses membres. Sacrement de Dieu signifiant le Christ, elle établit un rapport d’alliance avec les hommes et les femmes, revêtant une forme d’existence communautaire. L’Église est originale parce que Dieu y prend forme. Dans les rencontres humaines, ce sont les cœurs qui se communiquent; dans l’Église, c’est Dieu qui se communique. Elle n’existe pas pour elle-même ni pour plaire au monde ou pour remplir les églises, mais pour que Dieu soit connu et aimé, célébré et adoré.

L’Église est une famille qui a pour langage corporel la liturgie et la mission. Mystagogique et missionnaire, elle initie au mystère et elle ouvre sur le monde. Comme baptisé, je suis responsable de sa croissance, d’où l’urgence de me tourner vers Jésus, de prier dans le silence du cœur pour mieux me donner, de fréquenter à l’occasion les monastères et les sanctuaires pour retrouver le souffle.

La communion des saints

J’aime l’Église en plein vent, née du Père, du cœur du Christ en croix, du souffle de l’Esprit. Belle et tragique Église : une dans sa diversité où tous sont égaux, sainte dans ses membres pécheurs, catholique dans son universalité, apostolique dans sa mission d’évangélisation.

Je crois à la communion de saints, où prend forme le mystère de l’Église, où nous formons un seul corps dans le Christ. Elle ne se réduit pas au groupe des canonisés, nos amis les saints et les saintes, mais s’étend à tous les baptisés qui s’efforcent de vivre les béatitudes, de rayonner l’Évangile au cœur du monde, de méditer la Parole de Dieu au secret de la prière. Parole reçue et partagée aussi dans la liturgie. Parole rompue et mangée dans les sacrements.

Jeune et vieille Église universelle traînant dans sa coulée deux mille de présence du Christ au monde. Église d’hommes et de femmes pécheurs qui ont de la difficulté à vivre et qui s’en remettent sans cesse à la miséricorde divine, à la suite du Maître : « Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs » (Matthieu 9, 13). Je la porte cette Église fragile dans mon oraison matinale et dans mon engagement de laïc comme un enfantement à venir. Heureusement, la Parole de Dieu poursuit sa course jusqu’à mon cœur; elle épouse mon silence et donne du sens à ce que je vis.

D’en haut parce que d’en bas

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L’Église marche lentement dans ce monde où tout va tellement vite. Elle semble manquer de souffle, mais pas de cœur. Elle semble dépassée, mais elle ne perd pas de vue Jésus lorsqu’elle le contemple sur la croix. C’est en aimant l’Église qu’on peut mieux la renouveler. Les notions de droite et de gauche, de conservateur et de progressiste à son endroit sont trop réductrices pour traduire son mystère de communion. On le voit bien avec le pape François qui apporte tout un vent de fraîcheur à l’Église. Il propose une proximité dans les relations, une relecture de l'Évangile et de la grande tradition de l'Église. Il ne craint pas de parler du démon et de mondanité, pourfend le cléricalisme et la bureaucratie, souhaite une Église moins endormie et plus énergique dans sa foi. Il veut qu’elle sorte de ses structures de confort pour aller vers les autres qui sont en périphérie, une Église qui n'est pas une ONG, un "poste de douane" qui se contente de dire ce qui est permis et défendu. 

L’Église est d’en haut, mais sa mission est en bas avec le plus souffrant, auquel le Christ s’est identifié. Elle n’est pas toujours fidèle à l’Évangile, mais le Christ lui envoie des témoins dont elle a besoin pour se transformer et devenir plus humble. Je ne m’inquiète pas pour son avenir tant qu’elle suivra Jésus qui a donné l’exemple du lavement des pieds. L’Église ne vit que pour offrir au monde l’Évangile qui transcende les siècles et les idéologies.

Il ne manquera pas de forces créatrices dans l’Église appelée sans cesse à se renouveler. Elle ne sera pas aussi nombreuse qu’avant, mais peut-être plus signifiante dans des petites communautés de foi. Résistons à la tentation du nombre et de l’efficacité. La grâce ne se mesure pas. Pour le Seigneur, une âme vaut un univers ; elle n’a pas d’âge, elle est sans prix. Sa croix nous le rappelle, sa résurrection également.

L’Église a traversé tant de crises depuis 2000 ans. Elle sera toujours appelée à devenir plus humble et tendre, à revenir sans cesse à la simplicité et à la radicalité de l’Évangile. L'Esprit Saint saura lui donner un nouveau souffle et la conduire avec joie sur les routes des interrogations des hommes et des femmes de ce temps en libérant la parole et en ouvrant le dialogue, ce nous avons vu au Synode extraordinaire sur les défis pastoraux de la famille en octobre 2014. Tout est regard de foi, « tout est grâce », disait Thérèse de Lisieux.

Une partie de cet article est parue dans la revue Pastorale-Québec, octobre 2014.
Pour aller plus loin, consultez Petit dictionnaire de Dieu.
Voir la vidéo de 26 minutes sur mon parcours de vie à l'émission Un coeur qui écoute de KTO.