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Le blogue de Jacques Gauthier

De la blessure à la grâce, première partie

Entretien avec Nathalie Calmé sur la crise de la quarantaine paru dans la revue Sources, no 40, décembre 2017. Première partie.

Dans votre livre La crise de la quarantaine, vous écrivez que cette crise est une « occasion rêvée, car elle invite au changement et à l'intériorisation ». Parlez-nous de ce passage...

la crise de la quarantaine

Peu de personnes échappent à la crise de la quarantaine, surtout dans nos sociétés modernes axées sur l'avoir, la réussite et la performance. Chacun vit à sa manière cette phase de transition qui s'étend environ de trente-cinq à quarante-cinq ans. On quitte progressivement les promesses de la jeunesse et on devient vraiment acteur de sa vie. L'enfance paraît lointaine et la mort plus proche. Cet âge est marqué par des bilans, des désillusions, des remises en question. L'heure est venue de faire une pause, d'être à la mi-temps, un peu comme les joueurs de football qui prennent un temps de repos au milieu d'un match pour se reposer et revoir leurs stratégies. La quarantaine est une crise de croissance, une occasion de grandir, malgré les déséquilibres et les peurs. Il faut donc profiter de l'opportunité d'être en crise, ne pas la fuir, et l’affronter avec réalisme.

Les symptômes de cette crise ne manquent pas : solitude, doute, manque de confiance, périodes de dépression, absence de plaisir à accomplir ce que l'on faisait normalement, indifférence devant la vie, ambivalence, besoin d'aventure et de changement, difficulté à savoir ce que l'on veut, ennui, conscience de la mort, grand besoin d'intériorité, nuit de la foi... Ces signaux touchent tous les niveaux de l'être : physique, psychique, social, professionnel, spirituel. Ils indiquent que des choses sont en train de changer. Pour certains, le passage est graduel, pour d'autres, il est immédiat.

En 1991, vous avez connu cette crise de la quarantaine. Comment l’avez-vous vécue et traversée ?

J’étais déçu par tout, affecté d'une morosité qui s'accompagnait d'une persistante sensation de désenchantement. De nature optimiste et volontaire, j'avais l'impression de ne plus me reconnaître, de ne plus habiter avec moi-même, de côtoyer l'absurde. Tout me fatiguait, surtout les autres. Je m'enfonçais dans une nuit obscure, un désert intérieur. Cette métamorphose me rappelait la période de l'adolescence avec ses changements physiques et ses sautes d'humeur. C'était un peu la même crise d'identité, à la différence que j'avais un passé à évaluer, donc plus d'expérience et de responsabilités. Dans un poème, écrit à cette époque, La mutation, je témoignais de ce bouleversement de mon être : « Et je reste là, en quarantaine, fidèle dans la métamorphose, cherchant l’équilibre seul, en enfantement d’une autre peau, dos à la lumière qui tremble ». J’ai écrit aussi une longue lettre à un ami, moine cistercien à l'abbaye d'Oka, près de Montréal, afin de partager mon désarroi et ma solitude devant l'éclatement de mes repères. Ce cri du cœur fut, à mon insu, la genèse de mon livre. Je lui parlais de la nature spirituelle de ce que je vivais, de la quête de sens qui s'y jouait. A travers ma sécheresse spirituelle et mes questions, mon correspondant a décelé une crise mystique. Il me dit que c’était une des plus belles grâces de ma vie, puisque cela m'embellissait intérieurement. Ma foi se purifiait au contact du Dieu vivant qui était à l’œuvre en ouvrant mon cœur et en me délivrant de mes illusions. Ce point de vue d'un croyant me semblait juste. Mais il fallait d'abord que j'exprime mon mal-être, que je tienne bon en ne fuyant pas dans le divertissement, que j'accepte mes limites comme le lieu de ma rencontre du Dieu d'amour.

Comment sortir d’une telle crise ?

Il me semble important que durant ce temps de crise la personne trouve un mode d'expression qui lui permette de dire ce qu'elle vit. Cela peut prendre plusieurs formes : confidences à un ami, lettres, journal intime, prières, poésie, peinture, danse, théâtre, musique, artisanat... Pour moi, le mode d'expression par excellence était l'écriture qui cristallisait ma pensée. En nommant ma souffrance par des lettres ou des poèmes, je précisais mes sentiments et je dégageais du sens. Je me renouvelais en prenant conscience de mes limites, en approfondissant mes relations envers mon épouse, mes enfants, mes étudiants. Écrire mon insatisfaction était déjà une victoire en soi, un désir de faire partie de la solution, et non du problème. Ce travail d'éclaircissement s’est traduit par une grande fécondité littéraire. J’ai publié une dizaine d'ouvrages, par nécessité intérieure, pour ma survie. C'était une façon d'assumer ma crise avec lucidité. Je n'ai pas fui l'insatisfaction, au contraire, je l'ai regardée en face pour mieux la désarmer, faire corps avec elle, tel un lutteur fixe son adversaire en le contrôlant au plancher. Il était impérieux pour moi d'accepter cette insatisfaction qui me plaçait dans la ligne de vérité de mon être.

Trois ans plus tard, à l'été 1995, j’ai fait l'expérience de ma finitude humaine comme jamais auparavant. Une double pneumonie m’a cloué au lit. J'avais rencontré un adversaire plus fort que moi : la maladie. Je pensais mourir. Plus rien ne me retenait à la vie, pas même mon épouse et mes enfants. Je me sentais si vieux au-dedans. Je priais comme j'étais, dans la position allongée d'un corps qui s'en remettait à Dieu. Je répétais le nom de Jésus à chaque respiration, comme si je m'accouchais pour naître de nouveau. Je l'appelais pour qu'il me prenne, me délivre de la nuit, me blesse d'amour à l'aurore. Mon dernier souffle, ma dernière larme, ma dernière prière étaient pour lui. Je me sentais flotté dans la chambre. Puis, au matin, par une grâce spéciale de Thérèse de Lisieux, je cessai de me battre. Je lâchai prise. Je m'abandonnai enfin, simplement, pauvrement, remettant au Christ mon impuissance à aimer comme il m'aime. Ce n'était pas de la résignation, mais la joie d'une rencontre. La mort devint ainsi une amie. En l'acceptant, c'est la vie que j'accueillais. Depuis ce jour, Thérèse de Lisieux est aussi devenue une amie qui me tient par la main. Je lui consacrerai une dizaine de livres par la suite.

Aujourd'hui, je sais par expérience que je ne suis pas seul. Je suis accompagné et rêvé par ce Dieu d'amour qui demeure toute ma joie. Ce que je croyais perdu m'est revenu avec plus de simplicité. J'ai renoncé à prendre le chemin pour me laisser porter davantage par le Christ ressuscité. Il vient à ma rencontre et j'essaie toujours de l'accueillir comme un enfant, en toute confiance, sans comparer et sans juger. L'amour et la foi me guident mieux que mes sens sur ce chemin qui m'échappe sans cesse quand je pense le saisir.

Vous associez la quarantaine à une « crise du désir ». Pour quelle raison ?

Nous sommes des êtres de désir et de parole qui aspirons au bonheur. C’est pourquoi, lorsqu’on se rend compte que nos certitudes s'effritent et que nos émotions s'entremêlent à la quarantaine, il est important de recentrer notre vie en fonction du désir profond qui correspond à l'élan de notre être et qui est toujours plus haut que nous-mêmes. Approfondir ce désir qui fait vivre et qui ne demande qu'à brûler, c'est aller au bout de soi-même, monter toujours plus haut, se dépasser en se décentrant de soi pour nous tourner vers l'autre à aimer.

Les questions favorisent la découverte du désir profond. En voici quelques-unes : « «Où s'en va ma vie ? Me suis-je trompé dans mes choix ? Devrais-je changer de partenaire, de travail, de maison? Dans quel but dois-je prendre tel engagement ? Qu'est-ce que je veux ? Qui suis-je vraiment ? Qu'ai-je accompli d'important ? Qu'est-ce qui m'intéresse le plus ? Que sera l'avenir ? Dans quelle direction dois-je orienter le reste de ma vie ? Qu'est-ce que cela me donne de croire, de prier ? Qui est Dieu ? Pourquoi ne répond-il pas à ma détresse ? Quelle est la valeur ultime pour laquelle je donnerais ma vie ? Pourquoi mourir ? Qu'est-ce qui me fait vivre ?» Ces interrogations dépassent les réalités physiques et psychologiques pour rejoindre la dimension spirituelle de notre être. Elles révèlent une crise existentielle qui pose la question du sens de la vie et de son devenir. Cette crise spirituelle se situe au niveau du désir profond, puisque la personne est invitée à aller au bout d'elle-même, à découvrir ce qu'elle est appelée à être et à devenir.

« Cette crise du désir affectait aussi ma relation avec Dieu », confiez-vous. De quelle manière cela s’est-il manifesté ?

Ma foi évoluait avec moi, elle était donc en crise. Elle grandissait avec moi. Il fallait me battre intérieurement pour continuer à croire, car je me sentais bien faible. Dieu s'offrait à moi au cœur de cette expérience du manque, loin de ce qui brille, pour m'approcher humblement de son mystère et du mien. J’avais l’impression que Dieu lui-même purifiait mes images que je me faisais de lui ! Le plus difficile était de le laisser faire, sans comprendre. Je savais qu’il me révélerait en son temps mon visage intérieur. Ce désir creusait ma soif. J'espérais une eau vive sans me douter que le puits de mon cœur était si profond. Ma souffrance du silence de Dieu mesurait beaucoup plus mon désir de lui que mon incroyance. Mon désir profond m'était alors révélé. Il me parlait de l'Autre, c'est-à-dire de la vie, de la joie, de l'amour, de la liberté, tout ce qu'est le Christ pour moi. Mon désir était relancé !

Pour aller plus loin: La crise de la quarantaine; Les défis de la soixantaine.

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dimanche 19 mai 2024

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