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Le blogue de Jacques Gauthier

Cardinal Malula, prophète du Congo

Je vous partage ma préface du livre de Rodhain Kasuba Malu, paru à Paris aux éditions Karthala, dans la collection Signes des temps, sous le titre: Joseph-Albert Malula. Liberté et indocilité d'un cardinal africain

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Ce livre est le fruit d’une thèse de doctorat déposée à l’université Saint-Paul d’Ottawa en 2007 : L’Église et sa mission dans l’œuvre du cardinal Joseph Albert Malula. Contribution à l’élaboration de l’ecclésiologie africaine et au processus de la contextualisation de la théologie. J’étais présent à la soutenance. Si Rodhain Kasuba Malu a défendu sa thèse avec brio, il a su la remanier habilement pour rendre la lecture agréable, captivante, nous faisant découvrir « une extraordinaire aventure humaine devenue au fil des temps une incroyable histoire d’amour entre un homme et la Parole, entre une figure et un peuple ». 

Rodhain, c’est ainsi nous l’appelons amicalement au Québec, est originaire du diocèse d’Idiofa au Congo-Kinshasa. Il est prêtre-modérateur à la paroisse Sainte-Trinité de Gatineau depuis une dizaine d’années. Il nous livre ici, à partir des écrits du cardinal Malula, le cheminement intellectuel et spirituel de cet homme de foi et de conviction, libre et indocile à ses heures, qui a su allier Évangile et vie, Église et mission, théologie et pastorale.

L’Esprit Saint est toujours à l’œuvre dans l’Église et il parle avec force à travers ses témoins. C’est ce que je me suis dit en lisant la première partie du livre, dans laquelle l’auteur brosse avec entrain l’itinéraire biographique de Malula (1917-1989). Grand lecteur, bon communicateur, homme de prière, je retiens qu’il fonda la Congrégation des sœurs de Sainte-Thérèse de Kinshasa, en référence à Thérèse de Lisieux qu’il aimait beaucoup. Il voyait cette communauté comme une œuvre de libération des femmes africaines.  

Rodhain aborde avec clarté dans la partie suivante les prises de parole de Malula face à la colonisation et sa participation au concile Vatican II.

Nommé archevêque de Kinshasa en 1964, puis cardinal en 1969, il accompagne le Congo dans sa marche vers l’indépendance et l’Église dans son processus d’africanisation. Il ne voit pas l’indépendance de son pays comme une fin mais comme un combat pour l’égalité en dignité des êtres humains. Il écrit : « Le cri de l'injustice n'est ni noir ni blanc, il est un cri humain ».

Suite à l’expérience conciliaire, l’artiste Malula repense et imagine l’Église à partir de l’Afrique en favorisant une théologie africaine qui reflète son âme. Il prône un christianisme authentiquement africain. C’est l’objet de la troisième partie de l’ouvrage, la plus dense et la plus innovatrice. On retrouve les grandes préoccupations ecclésiales du cardinal visionnaire : liberté et responsabilité, dialogue et ouverture, reconnaissance des baptisés laïcs dans la mission de l'église, rite congolais de l’Eucharistie.

Dans son livre, Rodhain souligne avec justesse que les dits et gestes du cardinal africain exhalent un parfum d’Évangile qui s’apparente à celui du pape François. Il établit de nombreux liens en ce sens. Ces hommes de cœur apportent un supplément d’âme, une parole libre et féconde qui puise à la source du mystère de l’Incarnation, de l’amour du Dieu fait homme. Ils tiennent compte des interrogations de l’Église et de notre monde en actualisant les grands appels du concile Vatican II : une Église peuple de Dieu où tous les baptisés sont appelés à la sainteté, une Église missionnaire à l’écoute du monde, une Église de la Parole de Dieu qui interprète les signes des temps, une Église de communion où l’on vit l’inculturation de la foi, une Église de la miséricorde qui est centrée sur la personne, une Église de l’expérience ouverte à la diversité des charismes, une Église servante et pauvre au service des plus petits.

Dans la dernière partie du livre, l’auteur revient sur le conflit entre le général Mobutu, avide de tous les pouvoirs, et le prélat congolais, devenu trop encombrant. Au nom d’une politique de « l’authenticité », on tente d’inféoder les Églises chrétiennes, mais le cardinal résiste, d’où l’attentat de 1979, d’autant plus qu’il vient de recevoir un doctorat honorifique de l’université Louvain-La-Neuve. Toute sa vie, il restera fidèle à cette exigence intérieure : « Dès le début de mon ministère sacerdotal, j’ai été animé par une double passion : la passion pour l’Église du Christ, la passion pour mon pays ».

En terminant la lecture de cette brillante réflexion théologique en contexte africain, c’est toute la catholicité de l’Église qui se déploie sous nos yeux. À la suite de Malula, Rodhain sort l’Église de Rome et l’envoie en périphérie, pour reprendre une expression chère au pape François. Certes, elle a apporté une sagesse aux sociétés africaines, mais celles-ci peuvent également l’inspirer dans sa mission d’humanisation et d’évangélisation en suggérant d’autres formes de vie ecclésiale qui favorisent la communion au Christ et la solidarité avec le monde. Le cardinal Malula l’a fait à sa manière, même s’il n’a pas écrit de traité sur l’Église. Sa lecture de la Bible, sa présence au concile Vatican II, sa réflexion théologique, l’ont conduit à organiser concrètement le corps d’une Église locale. On retient de lui l'institution d'un ministère confié aux laïcs, appelés les bakambi, et la promotion d'un rite liturgique nommé « rite congolais » de l'Eucharistie.

Nous avons besoin de ces lectures africaines de la Bible pour redonner vie à la Parole de Dieu dans un contexte donné, afin qu’elle soit une bonne nouvelle, une parole de libération. Nous avons à revenir sans cesse à la simplicité et à la radicalité de l’Évangile, comme le souhaitait Malula. Véritable héros et conscience du Congo, l’un des fondateurs des Églises d’Afrique, il a alimenté son prophétisme d’une méditation biblique profonde, comme l’ont fait d’autres libérateurs de peuple que sont Martin Luther King, Nelson Mandela, Desmond Tutu.

Il revenait à l’un de ses fils spirituels du Congo-Kinshasa de nous présenter la chorégraphie originale du cher cardinal Malula, de déchiffrer avec patience sa partition ecclésiale pour mieux nous faire entrer dans la danse toujours neuve de l’Évangile.

 

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dimanche 19 mai 2024

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