Le blogue de Jacques Gauthier
École de prière (75) Questions sur l'oraison
Les 8 et 9 décembre 2017, les Amis du Père Caffarel ont organisé un colloque international au Collège des Bernardins, à Paris : « Henri Caffarel, prophète pour notre temps ». Cette manifestation avait pour objectif de montrer l’influence du père Caffarel (1903-1996) dans le monde, de présenter sa pensée et ses intuitions sur la théologie du mariage et sur la prière intérieure. J’avais été invité à prononcer une conférence intitulée Henri Caffarel, maître d’oraison, qui est devenue un livre. J’ai déjà partagé mon exposé sur ce blogue : L’oraison selon Henri Caffarel.
Voici que le texte intégral de toutes les conférences et interventions, ainsi que la transcription des tables rondes assurée par le comité de rédaction, ont été publiés en 2018 aux éditions du Cerf. Nous découvrons en 300 pages la vocation de cet homme de Dieu pour qui le Christ était tout dans la vie. Nous suivons le fondateur des Équipes Notre-Dame qui développa la spiritualité conjugale dans la revue L’Anneau d’Or et dans de nombreux livres. Nous rencontrons le maître d’oraison dans la Maison de Prière de Troussures qui conduisit de nombreux croyants au Christ. Ce conseiller spirituel, prophète pour notre temps, selon le mot du cardinal Lustiger, ne séparait pas le Christ de l’Église. Sa cause de canonisation est présentement à Rome.
Je vous partage ici des extraits de mes réponses aux questions que l’on m’a posées lors d’une table ronde, animée par Mgr Jérôme Beau. (Voir les réponses complètes et celles des autres intervenants dans le livre sur le colloque p. 177-194).
Questions sur l’oraison
Beaucoup pensent qu’ils ne savent pas prier parce qu’ils ne ressentent rien, qu’en pensez-vous ?
J’ai dit dans ma conférence que, ne rien ressentir, ce n’est pas là où se trouve le problème. Qu’il ne se passe rien, c’est faux. Dès que l’on descend à l’intérieur de soi, dès que l’on prend un bain de silence, il se passe quelque chose. Dès que l’on s’ouvre à la fine pointe de l’âme, il se passe toujours quelque chose, toujours !
Comment la pédagogie de l’oraison peut-elle être adaptée à de jeunes adolescents, à des enfants ?
Pour la pédagogie, c’est l’Esprit Saint qui s’en occupe, il n’y a pas vraiment de méthode pour les jeunes. Ils sont beaucoup plus réceptifs qu’on ne le pense. Les enfants ont une capacité de silence étonnante. Je l’ai expérimenté avec mes petits-enfants et j’ai déjà animé des retraites pour les familles avec des moments d’adoration, d’oraison avec les enfants et les enfants le vivent très bien. Il ne faut pas compliquer les choses ; avec les enfants, il faut que cela soit simple et court, ce sont les deux mots importants, sinon on sedécourage, cela devient inaccessible. Juste prendre conscience du silence : « Descends en toi, Dieu est là, Il t’aime ! ». C’est étonnant ce qu’il se passe.
Voulez-vous nous dire comment dans votre expérience de prière et de couple, vous vivez déjà quelque chose de la dimension eschatologique ?
Quand mon épouse n’est pas là, je ressens son absence. Si je ressens son absence, c’est qu’elle m’est présente […] Dans l’oraison, on vit l’absence qui est une forme supérieure de présence, on vit quelquefois un désert du cœur, on vit un manque, on sent parfois Dieu absent, mais Il nous est très présent, sinon on ne ressentirait pas l’absence. Surtout, si on en souffre c’est qu’on l’aime drôlement. Est-ce que vous comprenez ce que je dis ? C’est comme Notre-Dame de Paris, il faut être loin pour voir toute sa beauté. Si on a le nez dessus, on ne la voit pas comme on devrait la voir. C’est l’éloignement pour une plus grande proximité.
Comment aider chacun à rendre compte de ce qui se passe dans l’oraison? Dans la vie conjugale, vous rendez compte, par exemple dans votre devoir de s’asseoir, de ce que vous vivez à l’intérieur de l’oraison?
Ce n’est pas nécessairement pendant le devoir de s’asseoir, ce peut être spontané. On peut se dire par exemple : « Ce fut un temps sec » ; et mon épouse peut me dire : « Oui, cela m’arrive aussi » ; mais ce n’est jamais très élaboré, parce que cela fait partie de notre vie. C’est comme lorsqu’on mange ensemble, on ne se demande pas comment l’autre mange. On prie, cela fait partie de notre vie, mais il faut être attentif aux petites paroles. Cela fait tellement partie de notre vie que c’est tout naturel, l’important c’est de vivre ce temps-là qui ne nous appartient pas. Nous n’avons pas à juger notre prière. Saint Ignace disait : « Ne juge pas ta prière, Dieu ne la juge pas ! » […] L’oraison nous permet de voir l’autre comme le Christ le voit, l’oraison nous permet de voir le monde comme le Christ le voit, l’oraison nous permet d’être moins « râleur », davantage « louange ». Le Seigneur nous apprend à être patient, compatissant, tolérant. Dans le beau livre du Père Caffarel, Camille C ou l’emprise de Dieu, on voit comment cette femme a vécu dans son couple la vie d’oraison et comment son mari, très respectueux, ne la vivait pas comme elle. Certains pensent : « Si je prie trop, je vais devenir moine ou moniale ». Mais voyons donc : si je prie, je me rapproche de mon épouse, c’est le cœur à cœur. Camille C. dit : « Quand je vis l’oraison, c’est Dieu qui s’aime en moi ». Dans le couple, quand on vit l’oraison, c’est le Christ qui aime l’autre en moi. C’est doublement gratifiant, c’est la source féconde. On ne vit jamais l’oraison comme l’on veut, elle sera toujours pauvre, pleine de distractions, mais que c’est beau de vouloir recommencer chaque matin comme des artisans, des novices, et c’est là que l’Esprit vient en aide à notre faiblesse !
Avez-vous une parole pour conclure?
Nous venons d’entendre parler de la complémentarité des vocations. Je pense que comme couples de baptisés, nous avons notre sacerdoce des fidèles, des laïcs baptisés, et nous sommes appelés à être prêtre, prophète et roi, ce que nous oublions trop souvent. De par notre baptême, nous avons tout pour devenir des saints et des saintes, et par notre baptême, il y a une prière qui est en nous et qui attend d’être libérée. C’est une prière qui est là depuis notre baptême et qui ne s’apprend pas dans les livres, qu’il faut simplement laisser monter de son cœur de baptisé. Le Père, le Fils et le Saint Esprit s’aiment en nous et vivent pleinement notre baptême et à ce moment-là, tout est grâce. On devient même, comme le dit un poète que j’aime beaucoup, Patrice de la Tour du Pin, on devient « Eucharistie ». Il ne s’agit pas seulement de comprendre cette pratique de l’oraison, mais de se laisser prendre. Et c’est là que nous vivons le sacerdoce que nous recevons tous lors de notre baptême.
Henri Caffarel, prophète pour notre temps, Paris, Cerf, 2018, 302 pages.
Nous pouvons aussi retrouver les enregistrements du colloque sur le site des Amis du Père Caffarel : http://henri-caffarel.org
Pour aller plus loin : Henri Caffarel, maître d’oraison(Cerf); La prière chrétienne, guide pratique(Presses de la Renaissance); Expérience de la prière(Parole et Silence).
À propos de l'auteur
Marié et père de famille, poète et essayiste, son oeuvre comprend plus de 80 livres, parus au Québec et en Europe, et traduits en plusieurs langues. Il a enseigné vingt ans à l'Université Saint-Paul d'Ottawa. Il donne des conférences et retraites que l'on retrouve dans sa chaîne YouTube. Pour en savoir plus: Voir sa biographie.
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