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Le blogue de Jacques Gauthier

Mariage, eros et agapè

Au blogue précédent, intitulé Les noces de l’Époux, j’ai montré que l’amour de Dieu, tel que révélé dans la Bible, est une alliance aussi personnelle et profonde que l’époux avec son épouse. Approfondissons un peu plus cette alliance mystique qui est scellée au baptême et qui unit intimement les époux au Christ, particulièrement dans les sacrements de l’Eucharistie, de la réconciliation et du mariage.

Une mutuelle sainteté

En se donnant corps et âme, les époux s’inspirent du don que Jésus a fait tout au long de sa vie, et qu’il actualise chaque jour dans le rendez-vous d’amour qu’est l’Eucharistie. Mariage et Eucharistie sont des sacrements de l’alliance centrés sur le don du corps : « Ceci est mon corps… ».  Corps donné, corps reçu, dans l’amour conjugal comme à la messe, c’est toujours communier au Christ. Nous devenons unique hostie avec lui, par lui et en lui. L’amour conjugal devient un cantique d’action de grâce, une messe sur le monde.

Le concile Vatican II invite les époux, créés à l’image du Dieu vivant, d’être unis « dans une même affection, dans une même pensée et dans une mutuelle sainteté » (L’Église dans le monde de ce temps, 52). Par la grâce propre du sacrement de mariage, ils perfectionnent leur amour dans le Christ qui leur donne la force de pardonner et de le suivre jusqu’à la Croix et la résurrection.

L'amour vécu dans le couple peut donc être un chemin de désir de Dieu, lui qui a déposé ce désir en nous pour que nous aspirions au désir le plus profond : le désir d’aimer, le désir de sainteté, ce qui revient au même. « Dieu est amour : celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui » (1 Jn 4, 16).

Couple

Eros et Agapè

L’histoire des religions nous montre que l’union sexuelle est souvent considérée comme quelque chose de sacré qui renvoie à l’union plus profonde du corps et de l’âme, du masculin et du féminin, des époux avec l’Époux divin. Plus qu’un fait purement biologique, l’étreinte sexuelle, de par son symbolisme nuptial, suggère la mystérieuse union de Dieu et de la personne, du Verbe et de l’âme. Telle est la dynamique du désir dans le Cantique des Cantiques, maintes fois commentés par des mystiques chrétiens comme saint Bernard, saint Jean de la Croix et tant d’autres.

La grâce du Christ rend l’être humain capable de Dieu, elle le perfectionne, car le péché ne détruit pas la nature. Le désir, l’eros, inscrit dans la chair comme un appel vers Dieu, un sceau de sa plénitude, peut donc dire quelque chose du désir de Dieu qui est don, agapè. Le désir sexuel évoque l’immense appel d’une relation qui soit tellement satisfaisante qu’elle ne peut s’accomplir pleinement que dans la rencontre avec l’Époux divin, tel que révélé pleinement dans le Nouveau Testament. Benoît XVI, dans son encyclique Dieu est Amour, montre les liens entre cet unique amour, humain et divin, qui se manifeste dans l’eros et l’agapé : « Celui qui veut donner de l’amour doit lui aussi le recevoir comme un don. » (no 7)

Reprenant l’idée des Grecs que l'eros est une ivresse, une force divine, celui qu’on a appelé le Pseudo-Denys montre que le facteur extatique de l’amour est fondé sur l'extase même de Dieu, sur la sortie hors de lui-même où se manifestent sa beauté et sa bonté dans la création, la révélation et l'incarnation. Par l'incarnation de son Fils, Dieu se désapproprie de lui-même et se rend solidaire à toute l’humanité. Il est l’Époux qui nous cherche et nous aime le premier, le Père qui s’abaisse en son Fils pour nous rendre égaux dans l’amour et nous appeler ses amis, ses amants.

« En Dieu le désir amoureux est extatique. Grâce à lui, les amoureux ne s'appartiennent plus; ils appartiennent à ceux qu'ils aiment... Et c'est ainsi que le grand Paul, possédé par l'amour divin et prenant part à sa puissance extatique, dit d'une bouche inspirée : « Je ne vis plus, c'est le Christ qui vit en moi », ce qui est bien le fait d'un homme que le désir a fait, comme il dit, sortir de soi pour pénétrer en Dieu et qui ne vit plus de sa vie propre, mais de la vie de Celui qu'il aime. » (Pseudo-Denys, Œuvres complètes, p. 107)

L’égalité dans l’amour

Le poète mystique Jean de la Croix a montré dans un poème émouvant le drame du berger, le Christ, blessé dans son amour, parce qu’il est oublié de sa bergère, qui représente l’être humain. Il veut l’épouser pour la rendre égale à lui, mais elle refuse. La dernière strophe montre jusqu’où va l’amour quand l’Époux aime jusqu’au bout :

« Alors au bout d’un long temps il monta
sur un arbre où il ouvrit ses beaux bras
et mort il est resté attaché
le cœur d’amour tout déchiré ».
 
Si le berger pleure et souffre à en mourir, c’est que sa bergère court vers son malheur en refusant cet amour, en ne voulant pas jouir de sa divine présence. Voir sa bergère souffrir le blesse au cœur. Jean de la Croix utilise aussi l’image du cerf blessé, dans son Cantique spirituel, pour illustrer cette blessure d’amour : « On le constate entre ceux qui s’aiment : la blessure de l’un est une blessure pour l’autre; ce que l’un ressent, l’autre également le ressent. L’Époux semble donc dire : O mon Épouse, reviens à moi; si tu es blessée d’amour pour moi, moi aussi, comme le cerf, je suis par ta blessure blessé d’amour pour toi. »

 

Notre rapport avec Dieu et avec les autres doit être à l'image des relations d'amour qui existent dans la Trinité : don, accueil, communion, désappropriation de soi, élan vers l’autre, échange d’amour. La Trinité est toujours en état de don et de rayonnement, d’où sa joie. Il y a une expérience « sponsale » dans la Trinité qui rejoint celle des époux qui se donnent et se reçoivent mutuellement.

Cette expérience d’égalité dans l’amour se vit aussi dans la prière. Lorsqu’un couple prie, le Christ est là avec tout son désir d’aimer. Cette prière conjugale, comme toute prière chrétienne, est essentiellement trinitaire et filiale. En tant qu’images de Dieu, les époux participent à la vie trinitaire. Le Père entend la prière de son Fils qui s’exprime par la bouche et le cœur des époux parce que l’Esprit est à l’œuvre en eux. Il prie avec eux : « Notre Père, qui es aux cieux… »

Pour aller plus loin, voir certains mots de l'article que l'on retrouve d'une manière plus élaborée dans mon Petit dictionnaire de Dieu.

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dimanche 19 mai 2024

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