Le blogue de Jacques Gauthier
Cinq ennemis de la sainteté
Septième entretien d'une série de huit vidéos sur la sainteté, que l'on retrouve dans ma chaîne YouTube. Les entretiens sont tirés en partie de mon livre Devenir saint (Emmanuel/Novalis).
La sainteté est le devoir de tous, répétait Mère Teresa. C’est une question d’amour et d’ouverture à la grâce. Ce qui ne veut pas dire que c’est facile; avec l’aide de Dieu, tout est possible. Il est normal de rencontrer des obstacles sur le chemin de la sainteté. Mais il y a de véritables ennemis qu’il faut apprendre à reconnaître pour ne pas dévier du chemin. En voici cinq, que le pape François explore dans son exhortation sur l’appel à la sainteté dans notre monde, Gaudete et Exsultate.
Le gnosticisme actuel : l’intelligence sans l’amour
Le Saint-Père parle d’un gnosticisme actuel qui accorde plus d’importance aux raisonnements abstraits de l’esprit qu’à la capacité de toucher le corps du Christ dans les autres. C’est une doctrine sans mystère qui se déguise dans une spiritualité désincarnée où « ma » vision du monde représente la perfection, la sainteté. Or, l’Église a toujours enseigné que la sainteté des personnes se mesure par la qualité de leur charité et non pas la quantité des connaissances.
Le gnostique a réponse à tout, utilisant la religion pour son propre bénéfice. Il veut contrôler Dieu et ne le voit pas dans la vie des gens, surtout dans ceux dont la vie est détruite par les vices et les addictions. Dans certains courants gnostiques, note le pape François, on cherche à remplacer le Dieu trinitaire et incarné par une Unité supérieure. On préfère un Dieu sans Christ et un Christ sans Église, où l’on se pense meilleur que la « masse ignorante ».
Saint Jean-Paul II mettait en garde ceux qui dans l’Église ont la chance d’une formation plus poussée contre la tentation de nourrir « un certain sentiment de supériorité par rapport aux autres fidèles ». Mais en réalité, ce que nous croyons savoir devrait être toujours un motif pour mieux répondre à l’amour de Dieu, car « on apprend pour vivre : théologie et sainteté sont un binôme inséparable ». (no 45)
Le pélagianisme actuel : la volonté sans la grâce
L’expérience nous montre que ce n’est pas « la connaissance qui nous rend meilleurs ni saints, mais la vie que nous menons » (no 47). Mais là où le gnosticisme attribuait tout à la connaissance, le pélagianisme l’accorde à la volonté, à l’effort personnel, sans reconnaître le mystère de la grâce. « Si tu veux, tu peux ». Ce slogan, qui frôle la pensée magique, est trompeur, car la volonté humaine n’est pas parfaite, toute-puissante. Tous ne peuvent pas tout.
La grâce ne guérit pas toutes nos fragilités humaines. Elle agit de manière progressive dans notre histoire personnelle. Nul ne la mérite par ses œuvres, ne peut l’acheter par ses prières. Coopérer avec elle est un don de la grâce elle-même. Elle dépasse les capacités de notre intelligence et les forces de notre volonté. Nous ne pouvons qu’exprimer notre gratitude à Dieu pour son amour miséricordieux.
Au fond, l’absence de la reconnaissance sincère, douloureuse et priante de nos limites est ce qui empêche la grâce de mieux agir en nous, puisqu’on ne lui laisse pas de place pour réaliser ce bien possible qui s’insère dans un cheminement sincère et réel de croissance. La grâce, justement parce qu’elle suppose notre nature, ne fait pas de nous, d’un coup, des surhommes. Le prétendre serait placer trop de confiance en nous-mêmes. (no 50)
Les nouveaux chrétiens pélagiens, constate le Pape, vivent l’obsession de la loi et non de l’amour, la fascination du pouvoir au lieu de la joie de l’Évangile, « l’ostentation dans le soin de la liturgie, de la doctrine et du prestige de l’Église » (no 57) au lieu « de chercher ceux qui sont perdus parmi ces immenses multitudes assoiffées du Christ ». On soumet ainsi la grâce à quelques structures humaines et « la vie de l’Église se transforme en pièce de musée ».
Ne pas séparer prière et engagement
François ne propose pas une version édulcorée de la sainteté. Il met en garde de ne pas séparer les exigences de l’Évangile de la relation personnelle avec Dieu.
Ainsi, le christianisme devient une espèce d’ONG, privée de cette mystique lumineuse qu’ont si bien vécue et manifestée saint François d’Assise, saint Vincent de Paul, sainte Teresa de Calcutta, et beaucoup d’autres. Chez ces grands saints, ni la prière, ni l’amour de Dieu, ni la lecture de l’Évangile n’ont diminué la passion ou l’efficacité du don de soi au prochain, mais bien au contraire. (no 100)
La sagesse chrétienne ne sépare pas le service du prochain avec l’esprit d’oraison, rappelle le pape. Il met en garde contre la tentation du relativisme qui minimise la défense des plus petits et le consumérisme hédoniste qui nous transforme « en pauvres insatisfaits qui veulent tout avoir et tout essayer. »
La défense de l’innocent qui n’est pas encore né, par exemple, doit être sans équivoque, ferme et passionnée, parce que là est en jeu la dignité de la vie humaine, toujours sacrée, et l’amour de chaque personne indépendamment de son développement exige cela. Mais est également sacrée la vie des pauvres qui sont déjà nés, de ceux qui se débattent dans la misère, l’abandon, le mépris, la traite des personnes, l’euthanasie cachée des malades et des personnes âgées privées d’attention, dans les nouvelles formes d’esclavage, et dans tout genre de marginalisation. (no 101)
La menace de l’orgueil
L’orgueil est l’ennemi numéro un de la sainteté. Il nous souffle à l’oreille qu’elle n’est pas pour nous et que nous ne devons pas la désirer. Il incite à compter sur nos propres forces au lieu de nous appuyer sur la grâce de l’Esprit. Il mise sur le besoin de paraître et de dominer, nous renforce dans l’illusion que nous sommes meilleurs que les autres et que nous parviendrons à la sainteté par nous-mêmes en pratiquant telle vertu. Alors, nous nous pensons fidèles et généreux, sans défauts, satisfaits de nos progrès, sans reconnaître que tout vient de Dieu, et que nous avons aussi dans la chair, comme saint Paul, « une écharde, un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour empêcher que je me surestime. » (2 Co 12, 7)
Pour contrer ce règne de l’orgueil et de la vanité, « où chacun croit avoir le droit de s’élever au-dessus des autres », le Saint-Père propose quelques caractéristiques de la sainteté à développer dans le monde actuel : patience, douceur, joie, audace, ferveur, vie communautaire, prière. Il nous invite à ne pas rechercher notre propre gloire, à éviter la violence verbale, à nous taire devant les défauts des autres, à ne pas être durs envers eux.
Il n’est pas bon pour nous de regarder de haut, d’adopter la posture de juges impitoyables, d’estimer les autres indignes et de prétendre donner des leçons constamment. C’est là une forme subtile de violence. Saint Jean de la Croix proposait autre chose : « Préfère être enseigné de tout le monde que d’instruire le moindre de tous ». (no 117)
Cette charité fraternelle s’enracine dans l’humilité qui vient nécessairement avec les humiliations. « La sainteté que Dieu offre à son Église vient à travers l’humiliation de son Fils. Voilà le chemin ! » (no 118)
La tentation du découragement
Le découragement nous guette à chaque détour de notre ascension ou descente spirituelle. Nous tombons dans les mêmes fautes, nous avons l’impression de ne faire aucun progrès, nos efforts ne servent à rien, nous sommes incapables de nous corriger de tel défaut. Tant mieux, et c’est même bon signe. Nous marchons dans la foi et nous devons accepter humblement de ne pas savoir où nous en sommes sur la route de la sainteté.
Au dernier chapitre de son exhortation sur la sainteté, François montre que la vie chrétienne est un combat permanent, non seulement contre le monde et la mentalité mondaine, mais contre « le diable qui est le prince du mal ». Il faut beaucoup de force et de courage, de vigilance et de discernement, « pour résister aux tentations du diable et annoncer l’Évangile » (no 158). Seule une foi humble et amoureuse peut vaincre le Tentateur. Elle s’exprime dans la méditation de la parole de Dieu, la prière profonde, la célébration de la Messe, l’adoration eucharistique, la réconciliation sacramentelle, les œuvres de charité, la vie communautaire et l’engagement missionnaire. C'est ce que nous verrons au prochain et dernier entretien de cette retraite sur la sainteté.
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La 7e vidéo de 28 minutes sur les ennemis de la sainteté dans ma chaîne YouTube:
À propos de l'auteur
Marié et père de famille, poète et essayiste, son oeuvre comprend plus de 80 livres, parus au Québec et en Europe, et traduits en plusieurs langues. Il a enseigné vingt ans à l'Université Saint-Paul d'Ottawa. Il donne des conférences et retraites que l'on retrouve dans sa chaîne YouTube. Pour en savoir plus: Voir sa biographie.
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