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Le blogue de Jacques Gauthier

Que penser du karma?

Une journaliste m'a demandé un jour de lui parler du karma. Elle entendait souvent ce mot dans les conversations et ne savait pas trop quoi en penser. En effet, ce concept est à la mode, comme les mots mantra et nirvana. Le karma se veut une tentative de réponse aux questions métaphysiques que nous nous posons : "Où étais-je avant de naître ? Pourquoi la souffrance et le mal? Y a-t-il quelque chose ou quelqu’un après la mort ?" 

Un concept lié à la réincarnation

Le karma est un élément clé de la philosophie bouddhiste. Il est complètement étranger à la tradition judéo-chrétienne. On ne retrouve pas ce terme dans la Bible. Le karma veut dire activité, action, les effets qui en découlent et qui nous attachent à l’existence. Le Bouddha enseigne qu’il faut se détacher de tout désir et de tout sentiment pour triompher du karma et ne plus craindre de renaître dans une nouvelle existence. On atteint alors le nirvana et on sort du cercle des réincarnations. Car la notion de karma est intimement liée à la croyance en la réincarnation.

Dans cette dynamique du karma, ce sont nos actions qui déterminent si la nouvelle vie sera heureuse ou malheureuse. Chacun est ainsi jugé en fonction de ses actes. La vie présente porte les conséquences d’une prétendue vie future. Comme dit le proverbe, « on récolte ce que l’on sème ». C’est le lien de cause à effet. "Sème l’amour et tu récolteras de l’amour", disait saint Jean de la Croix. Mais on dit aussi que la violence engendre la violence.

Pourtant, nous ne sommes pas déterminés par nos actions. Nous sommes libres de choisir d’aimer ou de haïr, d’améliorer notre bien-être et celui de nos semblables. La loi du karma est-elle un pur déterminisme ? Nous ne vivons pas seulement selon des conséquences des actes du passé ; nous avons un libre arbitre qui nous aide à nous créer, à nous construire, à changer, à grandir, à découvrir le désir profond qui nous fait vivre. Bref, la vie est entre nos mains.

La question de la souffrance

On existe d’abord pour ce que nous sommes, des êtres uniques et libres, créés pour aimer et être aimés. De là vient notre dignité. Cela a des répercussions dans la vie concrète. Si quelqu’un souffre ou est dans le besoin, il ne faut pas voir ses malheurs comme les conséquences d’un mauvais karma d’une vie antérieure que la personne doit endurer afin de s’en libérer. Parlez-en aux victimes de tremblements de terre, d'inondations, ou de toutes autres calamités. Ont-elles péri parce qu’elles avaient un mauvais karma ? L’enfant qui meurt sous les décombres, est-il victime d’une mauvaise vie antérieure ? Je comprends que pour des gens qui croient à la loi du karma, cette interprétation peut leur permettre d'accepter la souffrance, de l'interpréter comme une épreuve qui les purifie des vies antérieures.

Pourtant, ce n'est pas avec de telles déclarations fatalistes qu'on va alléger la douleur d’un peuple qui souffre. Mieux vaut garder un silence respectueux devant le mystère qui nous dépasse au lieu de chercher un responsable ou de faire payer quelqu'un, serait-ce Dieu, le Diable, le karma. Pour les chrétiens, la discrétion du Dieu de la vie devant le mal est le signe qu'il nous veut autonomes, responsables, qu'il désire que nous réagissions avec encore plus de compassion. Il ne peut pas enlever notre liberté, car il nous aime. Cette phrase de Paul Claudel prend ici tout son sens: « Dieu n'est pas venu pour supprimer la souffrance, ni même l'expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence dans le Christ. » Cela pose la question de Dieu et de la souffrance des innocents, que j'ai déjà traité dans cet article du blogue.

Souffrance enfant

Karma et christianisme

La notion de karma est inexistente dans le Nouveau Testament, car pour les premiers chrétiens le salut ne vient pas de nos efforts, mais de la mort et de la Résurrection du Christ. Le pardon divin est au cœur de l’Évangile et la vie éternelle en est le fruit gratuit, si on s’ouvre à l’inattendu de la foi. On le voit bien avec Marie-Madeleine et Pierre. Sur la croix même, Jésus pardonne au larron qui lui ouvre son cœur : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23, 43). Il ne lui dit pas qu’il faut qu’il se délivre de son karma en revenant dans une nouvelle vie, non, « aujourd’hui » il sera dans le Paradis. C’est le premier saint canonisé par Jésus lui-même.

Jésus va constamment se soucier de l’exclu, de l’intouchable, du plus démuni. C’est la parabole du Samaritain qui vient en aide à son prochain sans se demander si ce malheur lui vient d’un mauvais karma. C’est la parabole de l’enfant prodigue accueilli par son père qui lui redonne sa dignité de fils, même s’il a dilapidé ses biens. Saint Jean résume ce salut par ces mots : Dieu a tant aimé le monde, qu’il a envoyé son Fils, « non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 17). Ce fut la raison d’être de l’action de sainte Teresa à Calcutta. Elle ne se souciait pas de savoir si l’intouchable qui mourait dans la rue payait pour une mauvaise vie intérieure, elle voyait le Christ en lui qui criait « J’ai soif ». Elle se rappelait cette parole de Jésus : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).

Résumons. Il n’y a pas de place pour un pardon divin et un salut universel dans le cycle des réincarnations. La loi immuable du karma n’entrevoit aucune intervention divine. La seule façon de détruire le mauvais karma est de le remplacer par un bon karma, soit par des bonnes actions et une vie vertueuse. Mais qui peut prétendre être vertueux ? Et les autres, les poqués, les marginaux ? Jésus disait que les prostituées nous précèdent dans le Royaume des cieux. Peut-être parce qu’elles sont conscientes de leur mal de vivre et que cette humilité les ouvre au Christ qui est venu « sauver ce qui était perdu ». Ce que disent la Loi et les Prophètes a été résumé d’une manière admirable par Jésus dans ce qu’on a appelé la règle d’or : « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux, vous aussi. » (Matthieu 7, 12)

Si l’habit ne fait pas le moine, le karma ne fait pas le futur. À la fatalité du karma et du déterminisme, je préfère la miséricorde et le pardon. La grande question du sens de la vie et de la mort se posera toujours à notre conscience, ainsi que la question du mystère de Dieu, que l’on soit d’Orient ou d’Occident. Les réponses divergent, les questions demeurent. Et c’est elles qui créent du sens.

Pour aller plus loin: Récit d'un passage et Petit dictionnaire de Dieu.

 

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jeudi 10 octobre 2024

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