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Le blogue de Jacques Gauthier

La mort de ma mère

Je ne pensais pas écrire ce texte quatre mois après la mort de mon père, que vous pouvez lire aussi sur ce blogue. Ma mère est décédée le vendredi 28 septembre à l’âge de 90 ans, alors que je donnais une retraite à Sutton. Elle est morte paisiblement dans son lit, à la maison, sans éprouver les affres d’une longue maladie. Elle désirait retrouver son cher Daniel, arrivé à la maison du Père le 2 juin 2018. Ils ont eu une belle vie et une mort douce. On ne s’habitue pas à la mort, même s’il y a « plein de vie dedans », écrivait Félix Leclerc. Devenir orphelin arrive toujours trop tôt. 

Maman a rendu l’âme un vendredi après-midi, comme Jésus. À la première lecture de la messe de ce 28 septembre, on pouvait lire ces mots de Qohèleth, l’auteur du livre de l’Ecclésiaste, qui montre avec réalisme que les desseins de Dieu sont impénétrables et que notre vie est passagère : « Il y a un temps pour tout, et un temps pour chaque chose sous le ciel: un temps pour donner la vie, et un temps pour mourir » (3, 1-2). 

Entre le souffle donné à la naissance et le souffle remis à la mort, nous faisons ce que nous pouvons. Que de saisons pour apprendre à vivre, à aimer, à mourir! Thérèse d’Avila résumait cela par cette maxime : « Vivre toute sa vie, aimer tout son amour, mourir toute sa mort ». 

Maman est partie sans faire de bruit, sur la pointe des pieds. Son cœur a rejoint celui du Christ, qu’elle a aimé et prié jusqu’à la fin. Je pense bien qu’un comité d’accueil l’attendait, à commencer par son époux, le compagnon de route pendant 69 ans. Puis ses parents, Éva Despins, décédée le 29 septembre 1959, et Adélard Héroux, le 1erseptembre 1960. Il y avait aussi son frère franciscain, Claude Héroux, entré dans la vie le 10 septembre 2016 à l’âge de 99 ans, dont 69 ans de prêtrise. J’aperçois d’autres proches et amis. Cette grande famille des baptisés est appelée du beau nom de « communion des saints ».

Ma mère a étudié chez les Ursulines à Grand-Mère, appris le piano qu’elle abandonnera pour se consacrer à ses cinq enfants. Elle rencontra son Daniel durant une retraite à l’église Saint-Paul, l’épousant le 2 juillet 1949. Elle s’est occupée de sa mère malade, accueilli son père à la maison. Enceinte d'un deuxième enfant, le médecin lui demanda de se reposer. Elle pria Marie: "Si mon enfant est en santé, je vous le consacre". J’ai été baptisé le 8 décembre, fête de l’Immaculée Conception. Ma foi en Dieu est née de la prière de ma mère.

De l’amour avant tout  

Il y avait de l’amour chez nous, et on mangeait bien, car maman était une excellente cuisinière. Mon père ne s’en plaignait pas, nous non plus. Nous sentions qu’elle nous aimait beaucoup, qu’elle était fière de ses enfants. Elle laisse à tous un témoignage d’amour et d’accueil. Elle recevait les gens comme s’ils étaient de la famille, les mettait à l’aise, s’entretenait avec eux en toute simplicité, puisqu’elle aimait parler. Maintenant qu’elle est arrivée dans la lumière éternelle, le cœur du foyer familial s’est éteint. Il nous reste son amour et son exemple, que saint Paul évoque à merveille dans le texte choisi pour ses funérailles le 13 octobre: "L’amour prend patience ; l’amour rend service [...] L’amour ne passera jamais" (1 Corinthiens 13, 4-8).

À l'intervenante qui l’avait visitée quelques heures avant sa mort, elle lui avait partagé sa joie d’être si bien entourée, s’émerveillant de voir sa petite-fille Amélie enceinte d’un garçon. Elle remerciait Dieu de tout ce qu’elle vivait, malgré l’ennui qu'elle ressentait du départ de son mari. Elle était en paix avec elle-même, prête à partir en toute quiétude. Nous avions préparé ensemble les arrangements funéraires de papa, ainsi que ses funérailles à l’église. Ce fut tellement beau qu’elle voulait que ce soit comme lui. Elle avait choisi son signet et le texte au verso : 

Consolez-vous, chers enfants, par la pensée qu’un jour viendra où toute la famille se réunira au ciel. N’oubliez pas que vos parents sont près de vous, disponibles à vos prières, prêts à vous aider. Ce n’est pas de mourir qu’il faut se préoccuper, mais de vivre.

Il me semble que le chrétien ne prépare pas sa mort, mais sa résurrection. À la mort se réalisera la pleine révélation de la gloire divine en nous. Nous pouvons nous appuyer sur cette parole de Jésus, qui est venu nous préparer une place dans la maison de son Père : « Quand je serai allé vous la préparer, je reviendrai vous prendre avec moi; et là où je suis, vous y serez aussi » (Jean 14, 3).

Nous savons si peu de chose de la mort, mais nous connaissons le prix de cette vie. Vivre est un cadeau de Dieu, me disait maman, il faut en prendre soin. Elle a déballé ce cadeau avec gratitude au fil de son âge. Elle a vécu pleinement en accueillant la mort comme une grâce qui lui a permis de rejoindre son époux. "Dieu réunit ceux qui s'aiment", chantait Piaf dans son Hymne à l'amour.  

Après la mort de papa, j’ai dormi quelques jours dans son lit, à côté du lit de maman. Je l’entendais chuchoter des prières avant de s’endormir, dont celle-ci, apprise des Ursulines ou de ses parents :

Jésus, Marie, Joseph, je vous donne mon cœur, mon esprit et ma vie.
Jésus, Marie, Joseph, assistez-moi dans ma dernière agonie.
Jésus, Marie, Joseph, faites que je meure paisiblement en votre sainte compagnie.  

J’étais touché de l’entendre prier ainsi. Je me rappelais qu’elle récitait cette prière alors que j’étais enfant. Je ne comprenais pas le dernier mot, me disant : « Où est-elle la compagnie de Jésus, Marie et Joseph »? Mon père travaillait comme mesureur de bois dans une compagnie de pâte et papier, il disait en partant de la maison : « Je m’en vais à la Compagnie ». Un jour, j’ai compris que cette compagnie de la Sainte Famille, c’était de vivre dans l’intimité de Jésus, Marie, Joseph. Maman est morte comme elle a vécu, en leur sainte compagnie.

Je me souviens d'un poème, écrit il y a bien longtemps, à l’occasion de la Fête des Mères. Je te l’offre de nouveau, ma belle maman d’amour, qui nous a précédés dans la vie éternelle.   

Un cœur de mère

Quoi de plus tendre et vulnérable
pour donner la vie et la faire grandir
fragile et nu quand arrivent les doutes
que le cœur d’une mère dans son mystère
 
Elle connaît l’échange des nuits et des jours
le prix des insomnies au nom de son enfant
qui s’en va un matin sur les routes du monde
pour vivre troubadour et à son tour l’amour
 
Complice de la fleur qui se tourne vers le soleil
elle tend les bras formant un grand cerceau
pour réchauffer ceux et celles qui l’entourent
 
Oui un cœur de mère demeure chose belle
ça sourit et gémit comme une tourterelle
au rythme des saisons au-delà de la mort
Signet maman

Lire également sur ce blogue: La mort de mon père
Pour aller plus loin, ce livre sur l’accompagnement à la mort de mon beau-père : Récit d’un passage (Novalis / Parole et Silence).

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lundi 7 octobre 2024

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