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Le blogue de Jacques Gauthier

Thérèse et le sourire de Marie

Thérèse de Lisieux (1873-1897) écrit dans son Histoire d’une âme : «Depuis mon enfance j’avais pour [saint Joseph] une dévotion qui se confondait avec mon amour pour la Ste Vierge» (Manuscrit A 57r). La jeune carmélite n’emploie jamais le mot « dévotion » à propos de Marie, elle lui préfère le mot «amour». Le 19 octobre 1892, elle exprime à sa sœur Céline sa joie d’aimer la Sainte Vierge : 

A propos de la Ste Vierge il faut que je te confie une de mes simplicités avec elle, parfois je me surprends à lui dire : «Mais ma bonne Ste Vierge, je trouve que je suis plus heureuse que vous, car je vous ai pour Mère, et vous, vous n'avez pas de Ste Vierge à aimer... Il est vrai que vous êtes la Mère de Jésus mais ce Jésus vous nous l'avez donné tout entier... et Lui sur la croix il vous a donnée à nous pour Mère. Ainsi nous sommes plus riches que vous puisque nous possédons Jésus et que vous êtes à nous aussi» […] Sans doute la Ste Vierge doit rire de ma naïveté et cependant ce que je lui dis est bien vrai ! (Lettre 137, Œuvres complètes, p. 452).

Le sourire de Marie

Pour Thérèse, Marie est plus mère que reine. Mais d’où lui vient cette proximité d’âme avec la mère de Jésus? Il est vrai qu’un jour de ses dix ans elle lui a souri et l’a guéri d’une étrange maladie. 

Cette maladie, qui a débuté à Pâques 1883, terrifie la famille. Les symptômes s'apparentent à la folie: maux de tête continuels, délires, hallucinations, frayeurs, tremblements nerveux, évanouissements. L'immense chagrin de l’entrée de sa sœur Pauline au Carmel ébranle tout son être. Des médecins parleront de régression infantile depuis la mort de sa mère, de dépression, des premières manifestions de la tuberculose. Thérèse donnera une autre interprétation, douze ans plus tard : « Je ne sais comment décrire une si étrange maladie, je suis persuadée maintenant qu'elle était l'œuvre du démon » (Ms A 28v).

On demande sa guérison avec insistance.  Son père fait dire des messes à Notre-Dame-des-Victoires de Paris. Ne trouvant aucun secours sur la terre, il pressent que seule la Vierge peut la guérir. Le 13 mai 1883, dimanche de la Pentecôte, (aujourd'hui fête de Notre-Dame de Fatima), alors que ses sœurs prient auprès de son lit, Thérèse se tourne vers la statue de la Vierge du Sourire:  

Therese Marie

Tout à coup la Sainte Vierge me parut belle, si belle que jamais je n'avais rien vu de si beau, son visage respirait une bonté et une tendresse ineffable, mais ce qui me pénétra jusqu'au fond de l'âme ce fut le «ravissant sourire de la Ste Vierge». Alors toutes mes peines s'évanouirent, deux grosses larmes jaillirent de mes paupières et coulèrent silencieusement sur mes joues, mais c'était des larmes de joie sans mélange... Ah ! pensai-je, la Ste Vierge m'a souri, que je suis heureuse... (Ms A 30r)

Ce miracle du sourire de la Vierge est gravé dans son cœur, mais elle refuse d'en parler. Sa sœur Marie insiste tellement qu’elle lui raconte tout.  Elle révèle au carmel de Lisieux la nature de la guérison, d'où les curiosités et les humiliations. La joie de la guérison va se changer en angoisse: « Hélas! comme je l'avais senti mon bonheur allait disparaître et se changer en amertume; pendant quatre ans le souvenir de la grâce ineffable que j'avais reçue fut pour moi une vraie peine d'âme » (Ms A 31r).  

La crainte d'avoir simulé la maladie, d'avoir tout inventé, s'empare d’elle. En novembre 1887, alors qu’elle est à Paris pour un pèlerinage à Rome, la Vierge confirme sa guérison à l'église Notre-Dame-des-Victoires: « La Sainte Vierge m'a fait sentir que c'était vraiment elle qui m'avait souri et m'avait guérie. J'ai compris qu'elle veillait sur moi, que j'étais son enfant, aussi je ne pouvais plus lui donner que le nom de "Maman" car il me semblait encore plus tendre que celui de Mère » (Ms A 56v-57r).

Une spiritualité du sourire

Thérèse découvrira au carmel de Lisieux la petite voie de confiance que Jésus lui trace, trouvant dans l’Évangile une Mère qui l’inspire : « Auprès de toi, Marie, j’aime à rester petite » (Poésie 54, OC, 751). 

Le dernier poème qu’elle compose d’une main tremblante, au mois de mai 1897, lui est consacrée : Pourquoi je t’aime, ô Marie !

Toi qui vins me sourire au matin de ma vie
Viens me sourire encor... Mère... voici le soir!
Je ne crains plus l'éclat de ta gloire suprême
Avec toi j'ai souffert et je veux maintenant
Chanter sur tes genoux, Marie, pourquoi je t'aime
Et redire à jamais que je suis ton enfant! (Poésie 54, OC, 756).
 

Thérèse exprime dans ce chant de vingt-cinq strophes ce qu’elle pense de Marie. Ici, point de langage précieux pour exalter les vertus de la Vierge, point de paroles grandiloquentes qui la rendent inimitable, elle présente la Marie de l’Évangile en suivant textuellement ce que l’on dit d’elle. Elle ne force pas le texte, mais en saisit seulement l’écho dans son cœur. L’Évangile lui apprend, son cœur inspiré fait le reste. Elle met en pratique ce qu’elle dit le 21 août 1897 :

Que j’aurais donc bien voulu être prêtre pour prêcher sur la Sainte Vierge ! Une seule fois m’aurait suffi pour dire tout ce que je pense à ce sujet. J’aurais d’abord fait comprendre à quel point on connaît peu sa vie.

Pour qu’un sermon sur la Ste Vierge me plaise et me fasse du bien, il faut que je voie sa vie réelle, pas sa vie supposée ; et je suis sûre que sa vie réelle devait être toute simple. On la montre inabordable, il faudrait la montrer imitable, faire ressortir ses vertus, dire qu’elle vivait de foi comme nous, en donner des preuves par l’Évangile (Derniers entretiens, OC, 1103).

Thérèse vivra une grande confiance en Marie qui la protège et lui redonne le sourire dès qu’elle l’invoque : « S’il me survient une inquiétude, un embarras, bien vite je me tourne vers elle et toujours comme la plus tendre des Mères elle se charge de mes intérêts. Que de fois en parlant aux novices, il m’est arrivé de l’invoquer et de ressentir les bienfaits de sa maternelle protection. » (Ms C, 26r°)

Et pourtant, la récitation du chapelet lui « coûte plus que de mettre un instrument de pénitence » (Ms C 25v). Le ton répétitif de cette prière convient mal à son tempérament de contemplative qui préfère aimer en silence. Pour elle, « la prière, c'est un élan du cœur, c'est un simple regard jeté vers le Ciel, c'est un cri de reconnaissance et d'amour au sein de l'épreuve comme au sein de la joie ; enfin c'est quelque chose de grand, de surnaturel, qui me dilate l'âme et m'unit à Jésus » (Ms C 25r-25v). Elle sait que Marie est est contente de la voir prier avec ses distractions. N’est-ce pas encourageant pour nous?

Je sens que je le dis si mal, j’ai beau m’efforcer de méditer les mystères du rosaire, je n’arrive pas à fixer mon esprit… Longtemps je me suis désolée de ce manque de dévotion qui m’étonnait, car j’aime tant la Sainte Vierge qu’il devrait m’être facile de faire en son honneur des prières qui lui sont agréables. Maintenant je me désole moins, je pense que la Reine des Cieux étant ma Mère, elle doit voir ma bonne volonté et qu’elle s’en contente. » (Manuscrit C, 25v°)

L’amour seul intéresse celle qui sera déclarée docteur de l’Église par Jean-Paul II en 1997. À l’image de Marie, elle développe une spiritualité du sourire qui console Jésus. Elle se réjouit au lieu de s’affliger de son sort, résistant contre tout ce qui détruit la joie, surtout la joie d’aimer Jésus et de le faire aimer, jusque dans l’éternité. N’a-t-elle pas dit qu’elle voulait passer son ciel à faire du bien sûr la terre ? 

C’est ainsi que la petite Thérèse nous aide et nous exauce sur la terre. Depuis plus d’un siècle, sur les cinq continents, elle répand « une pluie de roses », comme elle l’avait promis, nous rapprochant de Jésus et de Marie. « Tout est grâce », avait-elle dit quelques semaines avant d’entrer dans la Vie le 30 septembre 1897.

Pour aller plus loin, mon livre: Thérèse de Lisieux, l'interview (Emmanuel/Novalis).

Pour lire les autres articles sur Thérèse dans mon blogue: cliquez ici.
L
ire aussi mon bref témoignage: Marie la vivante.

Vidéo de 24 minutes dans ma chaîne YouTube, ajoutée le 13 mai 2021.

Viens, Esprit de Pentecôte
Marie la vivante

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vendredi 29 mars 2024

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