Le blogue de Jacques Gauthier
L'encyclique du pape François sur le Cœur de Jésus
La première encyclique de Benoît XVI, intitulée « Dieu est amour », et publiée au début de son pontificat en 2006, avait surpris tout le monde. On croyait qu’il allait présenter un programme concret pour les prochaines années. Au lieu de cela, il nous livra sa vision mystique de l’amour divin dans un court texte d’une grande profondeur théologique et spirituelle.
François s’engage sur un chemin semblable, mais dans la douzième année de son pontificat. Le 24 octobre 2024, il publia sa quatrième encyclique intitulée « Il nous a aimés », Dilexit nos. Il explore le thème de l’amour humain et divin du cœur de Jésus, ce centre rassembleur où nous contemplons « le Christ dans toute la beauté et la richesse de son humanité et de sa divinité. » (no 55)
Ce texte plus traditionnel n’est pas totalement étranger au contenu de ses deux encycliques sociales sur l’écologie et la fraternité, Laudato si’ et Fratelli tutti, qui, elles aussi, découlent de son amour du Christ. On saisit mieux que sa spiritualité du cœur du Christ est la source même de son engagement social et de son pontificat. Il écrit à la fin de l'encyclique: « En nous abreuvant de cet amour, nous devenons capables de tisser des liens fraternels, de reconnaître la dignité de tout être humain et de prendre soin ensemble de notre maison commune. » (no 217)
L’importance du cœur
Le pape argentin reprend un discours classique sur le rôle symbolique du cœur, qui se situe à l’intersection de l’anthropologie, de la théologie et de la spiritualité. Au premier chapitre, il présente une belle synthèse de l’importance du cœur en puisant dans les œuvres de quelques écrivains. Il suffit de revenir à cet amour pur et profond, ce feu intérieur du cœur, pour changer le monde.
On utilise souvent le symbole du cœur pour parler de l’amour de Jésus-Christ. Certains se demandent si cela a encore un sens aujourd’hui. Or, lorsque nous sommes tentés de naviguer en surface, de vivre à la hâte sans savoir pourquoi, de nous transformer en consommateurs insatiables, asservis aux rouages d’un marché qui ne s’intéresse pas au sens de l’existence, nous devons redécouvrir l’importance du cœur. (no 2)
François revalorise une approche de la relation humaine et de la relation à Dieu en faisant une large place au cœur et aux émotions. Il présente le cœur comme le « centre unificateur » qui donne un sens et une orientation à ce que nous vivons. Il relève aussi les défis qui attendent la société mondiale « en train de perdre son cœur » (no 22) : « À l’ère de l’intelligence artificielle, nous ne pouvons pas oublier que la poésie et l’amour sont nécessaires pour sauver l’homme. » (no 20)
Au deuxième chapitre, « Des gestes et des paroles d’amour », le Saint-Père aborde la notion du cœur dans l’Évangile. « Le Cœur du Christ, symbole du centre personnel d’où jaillit son amour pour nous, est le noyau vivant de la première annonce. Là se trouve l’origine de notre foi, la source qui donne vie aux convictions chrétiennes. » (no 32) Il passe en revue les gestes, le regard et les paroles de Jésus qui reflètent son cœur.
Aux chapitres suivants, il rappelle comment l’Église réfléchit sur le mystère du cœur du Christ. Il actualise pour aujourd’hui le message d’amour de ce cœur qui a tant aimé et qui donne à boire. Il nous offre un florilège des plus belles citations des Pères de l’Église, des saints et des papes sur ce sujet. « La dévotion au Cœur du Christ n’est pas le culte d’un organe séparé de la personne de Jésus. Nous contemplons et adorons Jésus-Christ tout entier, le Fils de Dieu fait homme représenté dans une image où son cœur est mis en évidence » (no 48).
L’actualité du Sacré-Cœur
L’attachement au cœur de Jésus, doux et humble, remonte à l’Évangile. Il fait de nous des cœurs brûlants, à commencer par sa mère, « qui regardait avec le cœur » (no 19). Cette dévotion date surtout du Moyen Âge avec saint Bernard et l’école cistercienne. Elle a été popularisée au XVIIe siècle par saint Jean-Eudes, puis sainte Marguerite-Marie Alacoque, où Jésus lui est apparu à Paray-le-Monial entre décembre 1673 et juin 1675. Les papes Clément XIII en 1765, puis Pie IX en 1856, ont institué la solennité de la fête du Sacré-Cœur.
Le Pape cite abondamment les grands témoins du cœur de Jésus qu’il affectionne, et qui sont surtout issus de l’École française de spiritualité : François de Sales, Claude de La Colombière, Charles de Foucauld et sa sainte préférée, Thérèse de l’Enfant-Jésus. L’enjeu est de rendre « amour pour amour », titre du dernier chapitre. Comment? En devenant une source d’amour pour les autres, qui apporte ainsi de nouvelles perspectives pour l’Église et le monde.
En disciple de saint Ignace, François essaie de discerner comment le Seigneur parle à travers nos émotions intérieures qui sont clairement dirigées vers le cœur. Il se méfie des formes désincarnées et rigoristes de toute spiritualité qui n’implique pas la dimension affective de l’être humain, la relation personnelle avec un Dieu d’amour.
Je voudrais ajouter que le Cœur du Christ nous libère en même temps d’un autre dualisme : celui des communautés et des pasteurs qui se concentrent uniquement sur les activités extérieures, les réformes structurelles dépourvues d’Évangile, les organisations obsessionnelles, les projets mondains, les réflexions sécularisées, les propositions qui se présentent comme des prescriptions que l’on veut parfois imposer à tous. Il en résulte souvent un christianisme qui oublie la tendresse de la foi, la joie du dévouement au service, la ferveur de la mission de personne à personne, la fascination pour la beauté du Christ, la gratitude passionnée pour l’amitié qu’Il offre et pour le sens ultime qu’Il donne à la vie. Il s’agit d’une autre forme de transcendantalisme trompeur, tout aussi désincarné. (no 88)
Le Pape en profite pour dépoussiérer l’image qu’on se fait de la réparation, souvent associée au cœur ouvert de Jésus, en lui donnant un sens social. Il montre que la dévotion au Sacré-Cœur peut rendre l'Église plus aimante, non seulement dans l’expérience spirituelle personnelle, mais aussi dans l’engagement communautaire et missionnaire. Il invite ainsi à respecter les expressions de la piété populaire, où les fidèles utilisent des mots simples et des images qui manifestent leur foi et leur amour du Christ.
Je demande donc que personne ne se moque des expressions de ferveur croyante du peuple saint et fidèle de Dieu qui, dans sa piété populaire, cherche à consoler le Christ. Et j’invite chacun à se demander s’il n’y a pas davantage de rationalité, de vérité et de sagesse dans certaines manifestations de cet amour qui cherche à consoler le Seigneur que dans les froids, distants, calculés et minuscules actes d’amour dont nous sommes capables, nous qui prétendons posséder une foi plus réfléchie, plus cultivée, et plus mature. (no 160)
Missionnaire de l’amour de Dieu
Le Souverain pontife s’attarde aussi sur divers aspects de l'amour du Christ qui peuvent contribuer à la renaissance de l’Église, et ce, en transmettant un message profond dans un monde qui semble avoir perdu son âme. « Grâce à l’immense source qui jaillit du côté ouvert du Christ, l’Église, Marie et tous les croyants, deviennent de diverses manières des canaux d’eau vive. Le Christ déploie, de cette manière, sa gloire dans notre petitesse. » (no 176)
En prenant divers exemples parmi nos amis les saints, le successeur de Pierre démontre que l’amour du prochain constitue la meilleure façon de manifester notre amour pour le Christ.
Un cœur humain qui fait place à l’amour du Christ par une confiance totale, et qui Lui permet de se déployer dans sa vie par son feu, devient capable d’aimer les autres comme Lui, en se faisant petit et proche de tous. C’est ainsi que le Christ se désaltère et répand glorieusement en nous et à travers nous les flammes de sa tendresse brûlante. (no 203)
Le Christ nous appelle « à construire une nouvelle civilisation de l’amour » au milieu même du péché, du mal. Il a besoin de nous « pour reconstruire le bien et le beau », pour réparer les cœurs blessés et pardonner. C’est aussi cela la réparation qui est « un prolongement pour le Cœur du Christ », affirme François, où l’on s’offre à l’amour miséricordieux, « par la spiritualité lumineuse de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. » (no 195)
À la fin de l’encyclique, Il nous invite avec audace à répandre dans le monde les flammes de l’ardente tendresse du Christ. Pour cela, nous avons à témoigner du Christ par la parole et l’exemple, afin de rendre le monde amoureux.
Parler du Christ, par le témoignage ou la parole, de telle manière que les autres n’aient pas à faire un grand effort pour l’aimer, voilà le plus grand désir d’un missionnaire de l’âme. Il n’y a pas de prosélytisme dans cette dynamique de l’amour : les paroles de l’amoureux ne dérangent pas, n’imposent pas, ne forcent pas. Elles poussent seulement les autres à se demander comment un tel amour est possible. Dans le plus grand respect de la liberté et de la dignité de l’autre, l’amoureux attend simplement qu’on lui permette de raconter cette amitié qui remplit sa vie. (no 210)
Et François poursuit sur cette lancée missionnaire en tutoyant le lecteur, l’interpelant à être un témoin vivant de l’amour du Christ : « Le Christ te demande, sans négliger la prudence et le respect, de ne pas avoir honte de reconnaître ton amitié pour Lui. Il te demande d’oser dire aux autres qu’il est bon pour toi de L’avoir rencontré. » (no 211)
Conclusion
Plusieurs ont vu dans ce texte fondamental un testament spirituel du Pape, une clé de lecture pour bien saisir l’héritage de son pontificat, où prime la miséricorde divine. « La miséricorde l’emportera toujours (cf. Os 11, 9), elle atteindra sa plus haute expression dans le Christ, parole ultime d’amour » (no 100). Pour ma part, j’ai retrouvé la même ferveur incarnée et le même feu intérieur que dans sa très belle exhortation apostolique de 2018 Gaudete et exultate, « Dans la joie et dans l’allégresse », sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel.
Avec cette nouvelle encyclique tonifiante, à forte teneur spirituelle, le pape François se révèle d’emblée comme étant un homme de cœur. Ce document mérite assurément qu’on le médite tout au long de l’Année Sainte 2025 pour que nous devenions vraiment des « pèlerins d’espérance ».
Je prie le Seigneur Jésus-Christ que jaillissent pour nous tous de son saint Cœur ces fleuves d’eau vive qui guérissent les blessures que nous nous infligeons, qui renforcent notre capacité d’aimer et de servir, qui nous poussent à apprendre à marcher ensemble vers un monde juste, solidaire et fraternel. Et ce, jusqu’à ce que nous célébrions ensemble, dans la joie, le banquet du Royaume céleste. Le Christ ressuscité sera là, harmonisant nos différences par la lumière jaillissant inlassablement de son Cœur ouvert. Qu’il soit béni ! (no 220)
Il existe plusieurs éditions papier de cette encylique. Vous pouvez aussi lire et télécharger gratuitement la traduction originale française sur le site du Vatican.
Sur ce thème du coeur, lire d'autres articles de mon blogue.
Regarder aussi mes vidéos en lien avec le coeur de Jésus.
Pour aller plus loin:
En sa présence. Autobiographie spirituelle (Artège/Novalis).
Les saints, ces fous admirables (Emmanuel/Novalis).
La prière chrétienne. Guide pratique (Ephata).
Regarder ma vidéo de l'encyclique Il nous a aimés, sur ma chaîne YouTube.
À propos de l'auteur
Marié et père de famille, poète et essayiste, son oeuvre comprend plus de 80 livres, parus au Québec et en Europe, et traduits en plusieurs langues. Il a enseigné vingt ans à l'Université Saint-Paul d'Ottawa. Il donne des conférences et retraites que l'on retrouve dans sa chaîne YouTube. Pour en savoir plus: Voir sa biographie.
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Commentaires 2
J'ai écouter avec enthousiasme votre riche commentaire de l'encyclique du pape François.
MERCI !
Soyez richement béni.
Elise
Merci pour ce commentaire, il est très encourageant. En communion d'esprit et de coeur.